Inde mythique et merveilleuse
Ailleurs lointain et inaccessible, l’Inde a enflammé les imaginations et suscité des récits où le merveilleux prenait une large part. Une des sources d’informations les plus diffusées au temps d’Alexandre à propos de l’Inde est l’ouvrage de l’historien du Ve siècle avant J.-C. Ctésias de Cnide : L’Inde. Deux cents ans après Ctésias, le merveilleux passe pour invraisemblable, comme l’écrit Lucien de Samosate dans son Histoire véritable :
« Ctésias de Cnide, fils de Ctésiochus, a écrit sur les Indiens et sur leur pays des choses qu’il n’a ni vues ni entendues de la bouche de personne. (1)
Les plus cruels châtiments sont réservés à ceux qui ont menti pendant leur vie, et qui ont écrit des récits imposteurs. Parmi eux étaient Ctésias de Cnide, Hérodote et plusieurs autres. En les voyant, j’ai eu bon espoir pour l’avenir, moi qui n’ai à me reprocher aucun mensonge. » (2)
Grâce à Ctésias, les Grecs pensaient avoir deviné l’Inde
Paradoxalement, c’est justement Ctésias, le plus fantaisiste et le plus incontesté menteur, dont les auteurs, et parmi eux les plus critiques, tel Aristote, invoquent le témoignage quand ils traitent de l’Inde !
Ainsi est-ce vraisemblablement pour une grande part au travers des récits célèbres et souvent repris de Ctésias qu’Alexandre et ses officiers cherchèrent à se faire une idée de ce qui les attendait, et c’est fort des descriptions extravagantes de ces explorateurs douteux, quand ils n’étaient pas tout simplement des voyageurs de bibliothèque, qu’ils abordèrent cette terre de légende.
Les Grecs ne connaissaient pas l’Inde, mais ils pensaient l’avoir devinée. (3)
Convoitise d’Alexandre pour une contrée énigmatique et magique
Si Alexandre n’a pas accordé foi à toutes les affabulations de Ctésias, nul doute cependant que l’Inde à ses yeux représentait pour une part la terre qui pouvait receler le secret ultime des confins du monde. Et si elle a pu l’aimanter comme elle le fit, c’est peut-être moins par l’intérêt stratégique et militaire qu’elle constituait que par la richesse imaginaire qu’évoquait cette énigmatique contrée, surchargée d’images et décrite comme le foyer d’une nature radicalement autre, fascinante, primitive et magique. (3)
L’Inde de Ctésias est peinte comme une terre d’enchantement
La nature y transgresse toutes ses lois et donne sa mesure dans la démesure : le soleil y apparaît dix fois plus grand qu’ailleurs ; les moutons et les chiens y ont la taille des ânes occidentaux, les brebis et les chèvres ont une queue large d’une coudée qui traîne par terre et empêcherait que les femelles soient saillies sin on ne la leur coupait.
Les palmiers des Indes ainsi que leurs dattes sont trois fois plus gros que ceux de Babylone ; les fourmis y sont de la taille d’un renard. Une source donne du vin, et ailleurs, c’est d’un rocher que coule un fleuve de miel. Une autre source encore donne une eau qui, une fois puisée, se fige comme du lait caillé et rend fou celui qui en boit, si bien qu’il se met à délirer et à raconter tout ce qu’il a accompli.
Prodigieuse également cette fontaine où les Indiens les plus en vue plongent en s’y lançant les pieds en avant, et que l’eau renvoie en l’air. Et cet arbre, le parébos, qui attire à lui tout ce qu’on dépose à proximité, tel que l’or, l’argent et tous les autres métaux ; et qui attire aussi tous les oiseaux qui voltigent trop près de lui, voire les chèvres et les moutons. (3)
Hommes à tête de chien, Pygmées et autres mirabilia
Cynocéphales
L’Inde concentre en elle mirabilia et prodiges Elle présente tous les « lieux communs » de la paradoxographie (récits de merveilles) antique. On y rencontre donc aussi, naturellement, des êtres étranges, comme les cynocéphales, hommes à tête de chien qui, pour tout langage, ne savent que japper. Ils ont tous une queue, semblable à celle des chiens mais plus longue et plus touffue, et ils s’accouplent à leurs femmes à quatre pattes.
Enfin – tant cette ambivalence est représentative des croyances grecques –, ce sont des êtres justes qui vivent fort longtemps. Dans les montagnes de l’Inde vit une population de trente mille âmes dont les bébés viennent au monde le crâne garni de cheveux blancs qui ne s’obscurciront qu’à partir de l’âge de trente ans. Ces gens possèdent huit doigts à chaque main et à chaque pied et ont des oreilles qui couvrent leurs bras jusqu’aux coudes, cachant même tout leur dos.
On croise aussi en Inde des Pygmées qui portent une immense barbe descendant jusqu’aux genoux et une longue chevelure tombant jusqu’à terre, si ben qu’ils ne s’enveloppent plus d’aucun manteau. (3)
(1) Lucien de Samosate - Histoire véritable - Livre 1,3
(2) Lucien de Samosate - Histoire véritable - Livre 2,31
(3) Pascal Charvet - Introduction au Voyage en Inde d’Alexandre le Grand
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