Chateaubriand
Après le triomphe du Génie du Christianisme, Chateaubriand part en Terre sainte durant les années 1806 et 1807, "la Bible et l’Évangile à la main" pour se documenter en vue de l’écriture des Martyrs. Il publie ses notes de voyage dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem (1811).
Lorsqu’en 1806 j’entrepris le voyage d’outre-mer, Jérusalem était presque oubliée ; un siècle antireligieux avait perdu mémoire du berceau de la religion : comme il n’y avait plus de chevaliers, il semblait qu’il n’y eût plus de Palestine.
L’arrivée en Terre sainte
Le temps était si beau et l’air si doux, que tous les passagers restaient la nuit sur le pont. J’avais disputé un petit coin du gaillard d’arrière à deux gros caloyers qui ne me l’avaient cédé qu’en grommelant. C’était là que je dormais le 30 septembre, à six heures du matin, lorsque je fus éveillé par un bruit confus de voix : j’ouvris les yeux, et j’aperçus les pèlerins qui regardaient la proue du vaisseau. Je demandai ce que c’était ; on me cria : Signor, il Carmelo ! le Carmel !
Chacun s’empressait de me la montrer de la main, mais je n’apercevais rien, à cause du soleil qui commençait à se lever en face de nous. Ce moment avait quelque chose de religieux et d’auguste ; tous les pèlerins, le chapelet à la main, étaient restés en silence dans la même attitude, attendant l’apparition de la Terre sainte ; le chef des papas priait à haute voix : on n’entendait que cette prière et le bruit de la course du vaisseau, que le vent le plus favorable poussait sur une mer brillante. De temps à temps un cri s’élevait de la proue quand on revoyait le Carmel.
J’aperçus enfin moi-même cette montagne comme une tache ronde au-dessous des rayons du soleil. Je me mis alors à genoux à la manière des Latins. Je ne sentis point cette espèce de trouble que j’éprouvai en découvrant les côtes de la Grèce ; mais la vue du berceau des Israélites et de la patrie des chrétiens me remplit de crainte et de respect. J’allais descendre sur la terre des prodiges, aux sources de la plus étonnante poésie, aux lieux où, même humainement parlant, s’est passé le plus grand événement qui ait jamais changé la face du monde, je veux dire la venue du Messie ; j’allais aborder à ces rives que visitèrent comme moi Godefroy de Bouillon, Raimond de Saint-Gilles, Tancrède le Brave, Hugues le Grand, Richard Coeur de Lion, et ce saint Louis dont les vertus furent admirées des infidèles. Obscur pèlerin, comment oserais-je fouler un sol consacré par tant de pèlerins illustres ?
Jérusalem
Je restai les yeux fixés sur Jérusalem, mesurant la hauteur de ses murs, recevant à la fois tous les souvenirs de l’histoire, depuis Abraham jusqu’à Godefroy de Bouillon, pensant au monde entier changé par la mission du Fils de l’Homme, et cherchant vainement ce temple dont il ne reste pas pierre sur pierre. Quand je vivrais mille ans, jamais je n’oublierai ce désert qui semble respirer encore la grandeur de Jéhovah et les épouvantements de la mort.
Une mosquée sur les ruines du temple de Salomon
Lorsque Omar s’empara de Jérusalem, il paraît que l’espace du temple, à l’exception d’une très petite partie, avait été abandonné par les chrétiens. Saïd-ebn-Batrik, historien arabe, raconte que le calife s’adressa au patriarche Sophronius, et lui demanda quel serait le lieu le plus propre de Jérusalem pour y bâtir une mosquée. Sophronius le conduisit sur les ruines du temple de Salomon.
Omar, satisfait d’établir sa mosquée dans une enceinte si fameuse, fit déblayer les terres et découvrir une grande roche où Dieu avait du parler à Jacob. La mosquée nouvelle prit le nom de cette roche, Gâmeat-el-Sakhra, et devint pour les musulmans presque aussi sacrée que les mosquées de La Mecque et de Médine. Le calife Abd-el-Maleck en augmenta les bâtiments, et renferma la roche dans l’enceinte des murailles. Son successeur, le calife El-Louid, embellit encore El-Sakhra et la couvrit d’un dôme de cuivre doré, dépouille d’une église de Baalbek. Dans la suite, les croisés convertirent le temple de Mahomet en un sanctuaire de Jésus-Christ ; et lorsque Saladin reprit Jérusalem, il rendit ce temple à sa destination primitive.
François-René de Chateaubriand - Itinéraire de Paris à Jérusalem
Texte complet disponible sur le site de la BNF :
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