Le voyage en Terre sainte du XVIe au XVIIIe siècle
À partir du XVe siècle, le pèlerinage, victime de certains excès, est confronté à des critiques de plus en plus acerbes. Érasme dans ses Colloques faisait exprimer par une Vierge de pèlerinage sa lassitude d’être "aux ordres des marins, des guerriers, des négociants, des joueurs, des filles à marier, des femmes en couche, des hauts dignitaires, des rois, des laboureurs". Rabelais met en scène dans Gargantua le thème du pèlerin cocufié par les religieux du voisinage. Mais les plus vives critiques sont celles des Protestants. Luther reproche au pèlerinage de fournir "d’innombrables occasions de pécher" et d’entraîner des dépenses inutiles ; il en demande la suppression pure et simple.
À la suite du concile de Trente, le clergé de la Réforme catholique s’attache à libérer le pèlerinage des superstitions qui l’entouraient et mettre l’accent sur l’exigence de purification intérieure que devait traduire cette démarche.
Avec le tarissement des foules voulant se rendre en Palestine pour y vénérer les Lieux saints, le voyage se fait plus difficile et plus coûteux pour les pauvres gens. Parallèlement à cette relative désaffection pour le saint voyage que rappelle Greffin Affagart, commence à se développer le Voyage au Levant dans tout le pourtour oriental de la Méditerranée. Avec la consolidation de l’empire ottoman, on n’envisage plus de croisade pour reprendre les Lieux saints ou Constantinople (tombée aux mains des Turcs en 1453), mais quelques intrépides voyageurs entreprennent des périples dans cet Orient d’où ils rapportent des relations colorées qui répondent au goût d’exotisme dont les milieux lettrés sont si friands.
Quant au pèlerinage lui-même, les philosophes des Lumières affichent leur dédain pour une telle démarche où L’Encyclopédie ne voit qu’un "voyage de dévotion mal entendue". Pourtant, les pèlerinages en Terre sainte ne s’interrompent jamais totalement, même si, dès la Renaissance, le voyage en Italie leur fait concurrence.
Il faut attendre Chateaubriand pour qu’ils soient réhabilités : dans Le Génie du christianisme (1802) :
Le voyage en Orient allait bientôt détrôner le "Grand Tour" des villes italiennes.Il faudrait plaindre ceux qui, voulant tout soumettre aux règles de la raison, condamneraient avec rigueur ces croyances qui aident au peuple à supporter les chagrins de la vie, et qui lui enseignent une moralité que les meilleures lois ne lui donneront jamais. Il est bon, il est beau, quoi qu’on en dise, que toutes nos actions soient pleines de Dieu, et que nous soyons sans cesse environnés de ses miracles. Le peuple est bien plus sage que les philosophes.
Chaque fontaine, chaque croix dans un chemin, chaque soupir du vent de la nuit, porte avec lui un prodige. Pour l’homme de foi, la nature est une constante merveille. Souffre-t-il ? Il prie sa petite image et il est soulagé. A-t-il besoin de revoir un parent, un ami ? Il fait un vœu, prend le bâton et le bourdon du pèlerin ; il franchit les Alpes ou les Pyrénées, visite Notre-Dame de Lorette ou Saint-Jacques en Galice ; il se prosterne, il prie le saint de lui rendre un fils (pauvre matelot, peut-être errant sur les mers), de prolonger les jours d’un père, de sauver une sage épouse. Son cœur se trouve allégé.
Il part pour retourner à sa chaumière : tout chargé de coquillages, il fait retentir les hameaux du son de sa conque, et chante, dans une complainte naïve, la bonté de Marie, mère de Dieu. Chacun veut avoir quelque chose qui ait appartenu au pèlerin. Que de maux guéris par un seul ruban consacré ! Le pèlerin arrive aux environs de sa demeure : la première personne qui vient au-devant de lui, c’est sa femme relevée de couches, c’est son fils retrouvé, c’est son vieux père rajeuni. Heureux, trois et quatre fois heureux, ceux qui croient !
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