L’Anonyme de Bordeaux
La plus ancienne description d’un pèlerinage en Terre sainte par un chrétien d’Occident remonte au début du IVe siècle : en l’an 333, un homme dont on ignore le nom partit de Bordeaux en direction de Jérusalem. Il nota scrupuleusement toutes les étapes de son itinéraire et laissa ce précieux Itinerarium Burdigalense qui servit certainement de guide à de nombreux pèlerins.
Le texte original en latin se compose principalement d’une liste de localités et la distance les séparant. Les localités sont subdivisées en villes, lieux de séjour et relais où le voyageur pouvait s’arrêter, se reposer, prendre un repas, ou seulement changer de monture avant de poursuivre la route.
L’exactitude des mesures données dans cet itinéraire prouve qu’il n’a probablement pas été fait par un particulier, mais qu’il a été extrait de ces recueils d’itinéraires dressés par les ordres des empereurs, d’après les arpentages très exacts, exécutés dans tout l’empire pour l’usage des fonctionnaires publics et pour la marche des troupes. À l’énoncé un peu sec des étapes, l’auteur ajoute une description minutieuse des lieux saints et quelques remarques sur les routes qu’il a extraites des itinéraires impériaux.
Depuis la Gaule jusqu’en Terre sainte
Après avoir traversé Toulouse, Narbonne, Arles, Orange et Valence, le pèlerin franchit les Alpes aux abords de Briançon et passe en Italie où il rejoint Milan qui était à cette époque la première ville d’Italie après Rome. Franchissant peu après Æmona (l’actuelle Ljubljana en Slovénie) la limite entre les empires romains d’Occident et d’Orient, il fait étape à Sirmium (aujourd’hui Mitrovitsa en Serbie), qui était encore, quelques années auparavant, une des quatre capitales de l’empire.
Le pèlerin rejoint Constantinople qui venait d’éclipser sa voisine Nicomédie (aujourd’hui Izmit) comme capitale de l’empire d’Orient. Il traverse ensuite l’Anatolie en passant par Ancyra (Ankara) et la Cappadoce, franchit le Taurus aux portes de Cilicie et fait étape à Tarse, Antioche, Tripoli et Césarée avant d’atteindre Jérusalem. Après la visite de cette ville, le pèlerin se rend en excursion au Jourdain puis à Bethléem, Hébron et en Galilée.
Comme le pèlerin anonyme voyage à l’époque de Constantin, il est le témoin de l’édification des premières basiliques en Palestine : à Jérusalem (à côté du Saint-Sépulcre et au sommet du mont des Oliviers), à Bethléem et à Mamre (Térébinthe). Un grand nombre de traditions chrétiennes sur les Lieux saints sont signalées pour la première fois dans ce texte.
La dernière partie de son itinéraire commence à Héraclée, l’actuelle Eregli, dans l’Hellespont (mer de Marmara), et passe à nouveau par Milan après la traversée de Rome.
Le trajet de Césarée à Jérusalem
- Ville de Césarée, en Judée - Ici se trouve le baptistère de Corneille, le centurion qui fit largement l’aumône (Ac 10:2; 47-48). À trois bornes de là se trouve la montagne Syna, où il y a une fontaine, dans laquelle, si une femme se baigne, elle devient enceinte.
- Ville de Maximianopolis - 18 milles.
- Ville de Stradela (Jizréel) - 10 milles. Ici régna le roi Achab et Élie prophétisa (1 R 17,1sq). C’est aussi le lieu où David tua Goliath [Vallée d’Elah] (1 Sam 17:49 - 51).
- Ville de Scythopolis (Bethshean) - 12 milles.
- Aser (Teyasir), où se trouvait la maison de Job - 6 milles.
- Ville de Neapolis (Naplouse) - 15 milles.
C’est ici que s’élève le Mont Garizim où les Samaritains disent qu’Abraham a offert le sacrifice. On atteint le sommet de la montagne par des marches, au nombre de trois cents. Au-delà, au pied de la montagne elle-même, est un lieu nommé Sichem. Il y a un tombeau dans lequel Joseph repose, dans « la parcelle de terre » que son père Jacob lui a donné (Jos 24:32). De là Dinah, la fille de Jacob, a été emportée par les enfants des Amorites (Gn 34:2). À un mille de là se trouve un lieu nommé Sichar, d’où la femme de Samarie descendit à l’endroit où Jacob avait creusé le puits, afin d’en tirer de l’eau, et Notre-Seigneur Jésus-Christ parla avec elle (Jn 4:5 - 30). En cet endroit, il y a des arbres que Jacob a plantés et un baptistère alimenté par l’eau du puits.
[1 mille = 1481 m]
À 28 milles de là, sur la gauche, comme on va vers Jérusalem, il y a un village nommée Bethar (Béthel). À un mille de là se trouve l’endroit où Jacob a dormi lorsqu’il se rendit en voyage en Mésopotamie (Gn 28:11-12), et on y voit l’amandier. C’est ici que Jacob a eu sa vision et l’ange a lutté avec lui (Gn 32:24-33). Jéroboam était roi en ce lieu quand le prophète lui a été envoyé pour lui dire qu’il devait se tourner vers le Dieu Très-Haut. Le prophète reçut l’ordre de ne pas manger le pain avec le faux prophète que le roi gardait auprès de lui, et parce qu’il fut trompé par le faux prophète et qu’il manga du pain avec lui, comme il s’en retournait, un lion surprit le prophète sur sa route et le tua (1R 13:1-34 ).
De là à Jérusalem - 12 milles.
Total de Césarée de Palestine à Jérusalem : 116 milles, 4 lieux de séjour et 4 relais.
Jérusalem au temps de l’empereur Constantin
Il y a deux grandes piscines sur le côté du temple, c’est-à-dire une à droite et une à gauche qui furent construites par Salomon. Un peu plus loin dans la ville, il y a des piscines jumelles avec cinq portiques que l’on nomme Bethsaïde (Jn 5:2-18). Ici, des personnes qui ont été malades durant un grand nombre d’années sont guéries. Les piscines contiennent de l’eau qui est rouge lorsqu’elle est troublée. Il y a aussi une crypte dans laquelle Salomon avait l’habitude de torturer les démons.
Il y aussi l’angle d’une tour extrêmement haute où Notre-Seigneur est monté et où le tentateur lui a dit : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas » (Mt 4:7). Et le Seigneur répondit : « Tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu, et tu le serviras lui seul. » (Mt 4:10). Il y a une grande pierre angulaire dont il a été dit, « La pierre qu’avaient rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue la pierre d’angle » (Mt 21:42; Ps 118:22).
Sous le pinacle de la tour, il y a de nombreuses pièces et c’est là qu’était le palais de Salomon. Il y a aussi la chambre dans laquelle il écrivit le Livre de la Sagesse ; cette chambre est couverte avec une pierre d’un seul tenant. On voit de grands réservoirs souterrains pour l’eau et des bassins dont la construction a demandé un gros travail. Et dans le bâtiment lui-même, où se dressait le temple que Salomon avait construit, ils disent que le sang de Zacharie (Mt 23:35; Lc 11:51) qui fut répandu sur le pavement de pierre devant l’autel demeure encore aujourd’hui.
On voit aussi les marques des clous dans les chaussures des soldats qui l’assassinèrent, dans toute la cour, et si clairement qu’on les croirait imprimées dans de la cire. Il y a deux statues d’Hadrien et, non loin des statues, une pierre perforée, à laquelle les Juifs viennent chaque année et l’oignent, se lamentant, gémissant et déchirant leurs vêtements avant de s’en aller. Il y a aussi la maison d’Ézéchias, roi de Juda.
Le Mont Sion et le Mont des Oliviers
Lorsque vous sortez de Jérusalem pour gravir le Mont Sion, du côté gauche, plus bas dans la vallée, à côté du mur, il y a un bassin appelé piscine de Siloé (Jn 9:7) et qui a quatre portiques. Il y a un autre grand bassin à l’extérieur. Cette source coule durant six jours et nuits, mais le septième jour, qui est le dimanche, elle ne coule pas du tout, ni dans la journée ni la nuit. De ce côté, on gravit le Mont Sion et l’on voit où était la maison du prêtre Caïphe et il reste encore une colonne contre laquelle le Christ a été battu avec des verges. À l’intérieur du mur de Sion, on voit l’endroit où était le palais de David. Des sept synagogues qui étaient là autrefois, il n’en reste qu’une seule ; quant aux autres, on laboure et on sème sur elle, comme dit le prophète Isaïe (Is 1:8; Mi 3:12).
De là, comme vous sortez du mur de Sion, en marchant vers la porte de Neapolis [Naplouse], vers la droite, plus bas dans la vallée, il y a des murs, où était la maison ou le prétoire de Ponce Pilate (Mt 27:27). Ici Notre-Seigneur fut jugé avant Sa passion. À gauche se trouve la petite colline de Golgotha où le Seigneur fut crucifié (Mt 27:33). À environ un jet de pierre de là est le caveau où Son corps a été disposé et d’où il se releva le troisième jour (Mt 27:63; 28:6). Là, à présent, sur l’ordre de l’empereur Constantin, a été construit une basilique, c’est-à-dire une église de beauté merveilleuse, ayant à ses côtés des réservoirs d’où l’on tire de l’eau et un bassin à l’arrière, où les petits enfants sont baptisés.
Lorsque l’on va de Jérusalem vers la porte qui est à l’est, afin de gravir le Mont des Oliviers, on traverse la vallée de Josaphat. Sur la gauche, là où il y a des vignes, on voit une pierre à l’endroit où Judas Iscariote trahit le Christ (Mt 26,47-50). À droite, il y a un palmier dont les enfants coupèrent des branches et les lancèrent sur le chemin lorsque le Christ vint (Mt 31:8). Non loin de là, à un jet de Pierre environ, se trouvent deux tombes remarquables de beauté ; dans la première, qui est un véritable monolithe, repose le prophète Isaïe, et dans l’autre Ézéchias, roi des Juifs.
De là, on gravit le Mont des Oliviers où, avant la Passion, le Seigneur enseignait à ses disciples (Mat 24-25). À cet endroit a été construite, sur l’ordre de Constantin, une basilique d’une merveilleuse beauté. À une faible distance se trouve la petite colline où le Seigneur monta pour prier quand il prit avec lui Pierre et Jean qui purent aussi contempler Moïse et Élie (Mt 17:1-8).
Itinéraire complet dans les pages :The anonymous pilgrim of Bordeaux
Par ailleurs, une étude détaillée de l’Itinéraire est faite dans L’histoire des croisades par M. Michaud.
On peut consulter ce texte (pp 525 à 546) sur le site de la BNF :
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