Foulques Nerra, pèlerin récidiviste
Foulques Nerra, (le « Faucon Noir »), comte d’Anjou de 987 à 1040 fut l’un des plus grands féodaux des années 1000. La vie de ce personnage hors du commun fut marquée par une alternance inouïe de crimes odieux et d’exploits chevaleresques, de cruauté et de pénitence. Chef de guerre et stratège génial qui consacra sa vie à agrandir son territoire, en particulier vers la Touraine, il pille sans vergogne villes et biens ecclésiastiques, fonde des abbayes, assassine ses prisonniers, incendie fermes et couvents, mais agit aussi en généreux bienfaiteur de ses serfs, fait de larges aumônes pour les plus pauvres et les malades, s’inflige de rudes pénitences et comble de dons les abbayes qu’il a fondées.
Pour se faire pardonner ses crimes, il accomplit à trois reprises le pèlerinage de Terre sainte : en 1002, en 1008 et en 1038.
La haine publique et le remords
Le comte d’Anjou, Foulques Nerra, était accusé d’avoir fait mourir sa première épouse, et de s’être plusieurs fois souillé de sang innocent. Poursuivi par la haine publique et par le cri de sa propre conscience, il lui semblait que les nombreuses victimes immolées à sa vengeance ou à son ambition, sortaient de leurs tombeaux pour troubler son sommeil et lui reprocher sa barbarie. Afin d’échapper à ces cruelles images qui le suivaient en tous lieux, Foulques quitta ses états et se rendit en habit de pèlerin dans la Palestine.
Les tempêtes qu’il essuya dans les mers de Syrie lui rappelèrent les menaces de la colère divine, et redoublèrent l’ardeur de ses sentiments pieux. Lorsqu’il fut arrivé à Jérusalem, il parcourut les rues de la sainte cité, la corde au cou, battu de verges par ses serviteurs, et répétant à haute voix ces paroles : Seigneur, ayez pitié d’un chrétien infidèle et parjure, d’un pécheur errant loin de son pays. Pendant son séjour dans la Palestine, il distribua de nombreuses aumônes, soulagea la misère des pèlerins, et laissa partout des souvenirs de sa dévotion et de sa charité.
Les chroniques contemporaines se plaisent à raconter la fraude pieuse à l’aide de laquelle Foulques trompa les Sarrasins pour être admis en présence du sépulcre de Jésus-Christ. Les mêmes chroniques ajoutent qu’en se prosternant devant le saint tombeau, il en détacha furtivement une pierre, et qu’il revint en Occident chargé de ce précieux larcin.
Deuxième puis troisième pèlerinage
Rentré dans ses états, il voulut voir sous ses yeux une image des lieux saints qu’il avait visités, et fit bâtir, près du château de Loches, une église semblable à celle de la Résurrection. C’est là qu’il implorait chaque jour la sagesse divine ? mais ses prières n’avaient pas encore fléchi le Dieu de miséricorde. Bientôt il sentit renaître dans son c?ur le trouble qui l’avait si longtemps agité. Foulques se mit en route une seconde fois pour se rendre à Jérusalem, où il édifié de nouveau les fidèles par les expressions de son repentir et les austérités de sa pénitence.
Revenu en Europe par l’Italie, il délivra le souverain pontife d’un ennemi formidable qui ravageait l’État romain. Le pape récompensa son zèle, loua sa dévotion, et lui donna l’absolution de tous ses péchés. Le noble pèlerin revint enfin dans son duché, rapportant avec lui une foule de reliques dont il orna les églises de Loches et d’Angers. Dès lors il s’occupa, au sein de la paix, de faire bâtir des monastères et des villes, ce qui lui acquit le surnom de grand édificateur. Ses services et ses bienfaits lui avaient mérité les bénédictions de l’Église et celles de ses peuples, qui remerciaient le ciel d’avoir rappelé leur prince à la modération et à la vertu.
Foulques semblait n’avoir plus rien à craindre de la justice de Dieu ni de celle des hommes ? mais tel était le cri de sa conscience et le tourment de son âme agitée, que rien ne pouvait le défendre contre ses propres remords, et lui rendre la paix qu’il avait cherchée par deux fois près du tombeau de Jésus-Christ. Le malheureux prince résolut de faire un troisième pèlerinage à Jérusalem ? la Palestine le revit bientôt arrosant de nouvelles larmes le tombeau de Jésus-Christ, et remplissant les saints lieux de ses gémissements.
Après avoir visité la Terre sainte, et recommandé son âme aux prières des anachorètes chargés de recevoir et de consoler les pèlerins, il quitta Jérusalem pour revenir dans sa patrie, qu’il ne devait plus revoir : il tomba malade et mourut à Metz. Son corps fut transporté et enseveli au monastère du Saint-Sépulcre qu’il avait fait bâtir près de Loches. On déposa son cœur dans une église de Metz, où l’on voyait encore, plusieurs siècles après sa mort, un mausolée qu’on appelait le tombeau de Foulques, comte d’Anjou.
M. Michaud - Histoire de la première Croisade [1825]
Feindre la profanation
Sainte et bénigne astuce du comte d’Anjou - Le comte offrit une grande somme d’or [aux Sarrasins] pour qu’on le laisse entrer [au Saint-Sépulcre], mais ils ne voulurent pas consentir, à moins que le comte ne fit ce qu’ils disaient faire faire aux autres princes chrétiens. Le comte, en raison du désir qu’il avait d’y entrer, leur promit qu’il ferait tout ce qu’ils voudraient. Alors les Sarrasins lui dirent qu’ils ne souffriraient jamais qu’il y entrât s’il ne jurait de pisser et faire son urine sur le sépulcre de son Dieu. Le comte, qui eut mieux aimé mourir de mille morts (si cela lui eut été possible), que de l’avoir fait, voyant toutefois qu’autrement il ne lui serait pas permis d’entrer voir le saint lieu, auquel il attachait une si charitable affection, pour la visite duquel il était arrivé là par tant de périls et de travaux de lointains pays, il leur accorda d’agir de la sorte, et il fut convenu entre eux qu’il y entrerait le lendemain.
Le soir, le comte d’Anjou se reposa dans son logis, et le lendemain matin, il prit une petite fiole de verre assez plate, qu’il remplit d’eau de rose pure et nette (ou de vin blanc, selon l’opinion de certains), et la mit dans la culotte de ses chausses, et il vint vers ceux qui lui avaient promis l’entrée ? et après avoir payé les sommes que les pervers infidèles lui demandèrent, il fut conduit au vénérable lieu du Saint-Sépulcre qu’il avait tant désiré, auquel Notre-Seigneur, après sa triomphante passion reposa, et on lui dit d’accomplir sa promesse, ou que sans cela on le mettrait dehors. Alors le comte, soi-disant prêt à le faire, détacha un lacet de sa culotte et, feignant de pisser, épandit de cette claire et pure eau de rose sur le Saint-Sépulcre ? de quoi les païens tenant pour vrai qu’il eût pissé dessus, se prirent à rire et à se moquer, disant l’avoir trompé et abusé ? mais le dévot comte d’Anjou ne songeait pas à leurs moqueries, étant en grands pleurs et larmes prosterné sur le Saint-Sépulcre.
Une relique arrachée au Saint-Sépulcre
Comme le comte s’approchait du Saint-Sépulcre pour le baiser, la clémence divine montra bien que le bon zèle du comte lui était agréable, car la pierre du Sépulcre, qui était dure et solide, au baiser du comte devint molle et flexible comme de la cire chauffée au feu. Le comte mordit dedans et en emporta une grande pièce à la bouche, sans que les infidèles s’en aperçussent, et puis après, tout à son aise, il visita les autres saints lieux.
Chronique des comtes d’Anjou
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