Aller à la page d’accueil du site

Le consentement d’Alexandre

Où se situe la limite ? Jusqu’à quel point peut–on tenter de réaliser ses rêves ? Et s’il faut y renoncer, comment se prend alors la décision ? Quelle est ma part et quelle est la part des autres dans une décision importante qui oriente le cours de la vie ?

Ces questions, auxquelles j’ai été confronté lors de mes périples à pied au long cours vers Jérusalem et Rome , et que j’ai fait vivre dans les récits Pèlerin d’Orient et Pèlerin d’Occident , j’ai souhaité les aborder de manière plus large et sous une forme romanesque.

Un épisode de la vie d’Alexandre le Grand m’en a donné l’occasion :

Après huit ans de campagnes victorieuses qui lui ont permis de balayer la puissance perse et de se tailler un gigantesque empire depuis la Macédoine jusqu’à l’Afghanistan actuel, Alexandre le Grand, fasciné par l’Inde, veut conquérir ce pays réputé pour ses merveilles, et repousser les limites du monde connu jusqu’à l’Océan extérieur qui entoure la terre. Autour de lui cependant, la révolte gronde.

Depuis les confins montagneux de l’Ouzbékistan et de l’Afghanistan actuels où il emporte de vive force une citadelle qui abrite Roxane, « la Resplendissante », la conquête de l’Inde mûrira, se précisera et s’engagera durant dix–huit mois jusqu’à la dernière limite, le moment de vérité sur les rives du fleuve Hyphase où le conquérant invaincu affrontera la volonté de la multitude et les pressions de ses compagnons. Peut–il renoncer à ses rêves sans déchoir ?

Sur la toile de fond de l’épopée alexandrine, quatre hommes et deux femmes tissent leur destin mêlé d’histoire, de questionnements et de romanesque : à des titres divers le franchissement du fleuve cristallise pour chacun d’eux un moment crucial de l’existence. Pris dans le tourbillon de la conquête, des intérêts et des passions contradictoires, chacun devra trouver sa voie et tenter de décider pour soi–même et pour les autres.


‟Le consentement d’Alexandre″ est paru en février 2023 aux éditions Transboréal.

Le roman
Vous êtes ici : Accueil > Alexandre le Grand & l’Orient > L’Empire > Un État en création
Visite complète - PrécédentVisite complète - Suivant

L’Empire d’Alexandre : un État en création permanente

Roman

Jusqu’à l’Indus, Alexandre avait organisé toutes les provinces en satrapies, avec un chef civil indigène, un chef militaire macédonien, et une garnison mi-partie de Grecs et de barbares. Ainsi venait-il de faire encore dans le Paropamisos, et cette satrapie de l’Inde intérieure avait donné à son empire la formidable barrière de l’Afghanistan actuel.

Entre l’Indus et l’Hyphase, il avait changé de système, laissant aux peuples leurs gouvernements nationaux, il n’avait demandé aux princes que d’être ses alliés et de lui payer un léger tribut. (1)

Les contingents macédoniens d’occupation se limitent souvent aux quelques dizaines d’hommes de la garde du satrape ou de l’episkopos, et le maintien de l’ordre est généralement confié aux mercenaires grecs et balkaniques. (2)

Un État itinérant

L’entrée d’Alexandre le Grand dans Babylone – Charles Le Brun – 1665 [détail] – Musée du Louvre

L’entrée d’Alexandre le Grand dans Babylone [détail]
Charles Le Brun – Musée du Louvre

Les satrapes macédoniens disposèrent donc de pouvoirs étendus. Comment concilier ce fait avec le désir avéré du roi de conserver un pouvoir total ? La raison essentielle en est sans doute que pour Alexandre le problème ne se posait pas en des termes juridiques et institutionnels.

Tout d’abord, il savait bien que, dans le contexte de la conquête, une réorganisation des pouvoirs satrapiques ne pouvait pas constituer une mesure propre à elle seule, à lui assurer la loyauté indéfectible de ses subordonnés.

L’empire d’Alexandre est un État en création permanente ; c’est un État itinérant au gré des déplacements de l’armée de conquête. Tel est bien le point important : plus que l’existence (ou l’absence) de structures intermédiaires de contrôle, c’est la présence (ou l’absence) du le personne du roi qui conduit certains satrapes à obéir ou à se révolter. (3)

Des satrapes très indépendants

Depuis 330, Alexandre n’avait pu surveiller l’administration des provinces occidentales. De loin en loin, il faisait connaître ses besoins en hommes, en bêtes, en matériel. Pour le reste, la lenteur des communications, souvent interrompues l’hiver obligeait les satrapes à régler eux-mêmes les affaires courantes, quitte à rendre compte ensuite. (2)

Tout s’ordonne autour de la personne du roi

À son départ pour l’Inde, Alexandre n’a laissé derrière lui aucun vice-roi ni aucun « premier ministre » chargé de surveiller les satrapes ou de punir leurs erreurs et leurs exactions. Il dirige les affaires avec un petit nombre d’hommes, dont quelques uns seulement portent un titre : le Grec Eumène de Kardia est l’archichancelier ; Héphestion le meilleur ami du roi a recueilli le titre achéménide de chiliarque ; Harpale est chargé des finances. Mais ces titres n’ont pas en eux-mêmes un contenu très précis, autre que celui que le roi veut bien leur donner, à tel ou tel moment.(…)

On voit bien, dès lors, où se situe la principale fragilité de toute l’œuvre de conquête : même à l’intérieur des pays d’administration directe, l’unité de l’empire est une notion qui tient uniquement, ou presque, à la personne du roi. La réaction de nombre de satrapes ou d’administrateurs (exaction et fuite du trésorier Harpale en 325) pendant l’absence du roi laissait mal augurer de ce que pourrait devenir l’empire après la disparition du conquérant. (3)

Aristote, interprété par Anthony Hopkins dans le film ‘Alexandre’ d’Oliver Stone

Aristote, interprété par Anthony Hopkins dans le film Alexandre d’Oliver Stone

La lettre d’Aristote à Alexandre sur le gouvernement des États

Une longue lettre d’Aristote parvient à Alexandre entre la fin de 330 et le printemps de 327, sans doute dans l’hiver 328-327 quand se préparait l’expédition insensée contre l’Inde et que Kleitos ivre lançait au roi ses quatre vérités. Cette lettre de 25 pages, nous ne la connaissons que par un texte arabe du VIIIe siècle, lui-même traduit du syriaque, ce dernier étant traduit d’un texte grec hellénistique plus ou moins commenté. En voici quelques extraits :

« Le régent doit réunir en lui deux qualités qui font partie des plus grandes et des plus considérables : il faut qu’il soit aimé du peuple et admiré de lui pour ses actions.

Garde-toi de prêter l’oreille, quand il s’agit des Grecs, aux dénonciations du délateur qui voudrait les ruiner à tes yeux. Ne te laisse pas aller à la colère contre eux si tu apprends que certains essaient de rivaliser avec toi ou désirent t’égaler en dignité et en grands desseins.

Ne froisse pas autrui par un ordre qui ferait de toi, non un régent, mais un maître, non un roi, mais un tyran détesté. Certains pensent qu’il est sans importance que le souverain soit abhorré et qu’il n’a pas à se plier à la loi : c’est là évidemment tout gâter.

Il serait bon, à mon avis, pour ton autorité, et cela contribuerait à affermir ta réputation et ta grandeur, que tu fisses transférer [l’élite de] la population de Perse… en Grèce et en Europe…, au moins les détenteurs d’honneurs et de puissance.

Je sais bien que ton esprit aspire aux expéditions militaires et à d’autres actions auxquelles tu penses intensément et auxquelles tu es préparé. Mais garde présents à la mémoire les malheurs infligés au genre humain par les revers de fortune et par l’adversité.

Ton pouvoir suprême sera plus glorieux et plus honorable si tu t’attaches au bien-être du peuple. Exercer le pouvoir sur des hommes libres et nobles vaut mieux que de dominer des esclaves, même en grand nombre.

Sache que tout atteinte à leur dignité est plus cruelle pour les hommes libres qu’une atteinte à leur fortune et à leur corps. Car ils donneraient volontiers leur fortune et à leur corps pour conserver intactes leur noblesse et leur dignité.

Sache qu’il est trois choses par lesquelles on laisse une belle mémoire et une vaste gloire. La première, c’est une bonne législation, comme celle qu’avaient conçue Solon et Lycurgue ; la seconde c’est la science de la guerre et des combats, comme celle qui a rendu fameux Thémistocle et Brasidas ; la troisième, c’est la fondation de cités. Car bien des hommes qui bâtirent des cités y acquirent de la gloire, et leur souvenir s’est répandu au loin. Tu as acquis toi-même une belle expérience militaire. Il convient maintenant que tu tâches d’acquérir les deux autres qualités, et notamment que tu réfléchisses sur la législation et la construction des cités et sur leur bien-être.

Souviens-toi que les jours passent sur toute chose, estompent les actions, effacent les œuvres et font mourir le souvenir, à l’exception de ce qui fut gravé dans le cœur des hommes par l’amour et qu’ils transmettent de génération en génération. » (4)

(1) Victor Duruy - Histoire des Grecs XXXII, 5
(2) Edouard Will - Le monde grec et l’Orient
(3) Pierre Briant - Alexandre le Grand
(4) Traduction de Paul Faure in La Vie quotidienne des armées d’Alexandre - Lettre d’Aristote à Alexandre sur le gouvernement des États


Ajouter à mes favoris    Recommander ce site par mail    Haut de page
 



Cet article vous a plu, ou vous appréciez ce site : dites-le en cliquant ci-contre sur le bouton "Suivre la page" :




Sélection d’articles de la semaine :