Le Roman d’Alexandre : un best-seller du Moyen Âge
Au fil des siècles, certains inventèrent des faits qu’ils prêtèrent à Alexandre afin de le magnifier. C’est de cette légende que naquit le Roman d’Alexandre au IIIe siècle de notre ère. D’abord attribuée à Callisthène, on a préféré garder quelques réserves en nommant communément son auteur le « Pseudo-Callisthène ».
Le Roman d’Alexandre (ou La vie et les hauts faits d’Alexandre de Macédoine) est ainsi une biographie romancée, une extraordinaire épopée tissée de batailles et de complots, d’amours et de trahisons, sur les traces du plus grand conquérant de l’Antiquité, de l’Égypte à la Perse et en Inde, aux confins du monde connu, dans un univers où règne la magie et que peuplent animaux et hommes fabuleux.
Le Roman d’Alexandre commence par la naissance du futur conquérant, naissance irrégulière, caractéristique des légendes héroïques :
Alexandre est le fils non de Philippe, mais de Nectanébo, pharaon-magicien exilé, devenu l’amant de la reine Olympias sous le déguisement du dieu Ammon. Le roman se clôt par la mort du héros, pathétique et solennelle : Alexandre boit le poison que lui a préparé son échanson loullos, sur l’ordre d’Antipatros. L’armée en larmes défile devant son roi qui agonise. "L’air se remplit de brouillard, une grande étoile apparaît en descendant du ciel vers la mer, et avec elle un aigle". Quand ils remontent, Alexandre est mort. (1)
Du bathyscaphe au voyage en ballon
Alexandre explore les profondeurs sous-marines
Le Roman d’Alexandre - XVe siècle
Entre les bornes de cette biographie, le récit inclut des données historiques, mais fait la part belle aux éléments mythiques : Alexandre veut non seulement atteindre les limites de l’oikouménè [le monde connu, la terre habitée], mais il cherche l’immortalité au pays des Bienheureux, tente de monter aux cieux dans une nacelle portée par deux oiseaux blancs, ou explore les fonds marins dans une sorte de bathyscaphe. Ainsi, le Roman d’Alexandre s’écarte de l’histoire et fait d’Alexandre un héros surhumain. (1)
Dans la vaste compilation intitulée Les Faicts ti Conquestes d’Alexandre le Grand que Jean Wauquelin a consacrée au roi macédonien, au milieu du XVe siècle, sur la demande du duc Philippe de Bourgogne, les épisodes ont presque tous comme ressort commun de mettre en avant le désir de conquête et d’avancée sur des terres inexplorées, qui anime le héros jusqu’à sa mort à Babylone.
Parmi eux, deux récits, apparemment étrangers l’un à l’autre, laissent intervenir l’élément aquatique ; le premier, qui se passe dans les déserts indiens, évoque la recherche et la découverte de trois fontaines magiques et, en particulier, de la fontaine de jouvence ; le second raconte la descente d’Alexandre sous la mer Rouge dans un caisson de verre.(2)
Le Callisthène historique ne peut être l’auteur du Roman d’Alexandre
Alexandre chevauchant avec Aristote et son armée
Le Roman d’Alexandre a été attribué à Callisthène en raison des talents littéraires de cet historiographe, compagnon d’Alexandre, mais qui, du fait de sa condamnation à mort en 327, ne peut être l’auteur d’un récit qui s’achève en 323. En réalité, il est difficile de savoir quand et par qui ce texte fut composé et quelle en était la forme primitive.
Pour construire le Roman d’Alexandre, un auteur non identifié a utilisé divers matériaux, notamment des biographies historiques d’Alexandre, une correspondance entre Darius et Alexandre et des romans centrés sur Nectanébo, Sémiramis ou Candace, reine des Éthiopiens. D’autre part, la mention dans le Roman de peuples battus par Aurélien en 274 et les passages sur l’astre Alexandre, qui évoquent le culte impérial du Sol Invictus, permettent de supposer que le Roman a été rédigé vers la fin du IIIe siècle après Jésus-Christ. (1)
Des versions multiples
De la première version du Pseudo-Callisthène dérivent les Légendes, Vies, Romans, Histoires ou Exploits d’alexandre le Grand qui se multiplieront, à partir du Ve siècle, en Syrie, en Perse, en Palestine, en Arménie, et, plus tard en Géorgie, en Turquie et jusqu’en Asie centrale. Par la suite, il y eut d’autres Romans d’Alexandre. On parle alors de recensions. Il en existe cinq : la recension α, β, λ, ε et γ. Ces textes grecs auraient été écrits entre le IIIe et le VIIIe s apr. J.-C..
Filiations orientale, byzantine et latine
Le Roman d’Alexandre
Manuscrit arménien - 1536
On distingue trois filiations principales :
- la filiation orientale, qui comporte une adaptation arménienne du Ve siècle, une version syriaque elle-même issue d’une adaptation en pehlvi et des Romans d’Alexandre persan, turc, thaï ou mongol ;
- la filiation byzantine, qui va de la sphère grecque à la sphère slave en passant par Byzance ;
- la filiation latine : née de la traduction-adaptation du Pseudo-Callisthène par Julius Valérius au IVe siècle, elle a été enrichie au Xe par la traduction de l’archidiacre Léon, familier des ducs de Naples, qui a servi de source aux versions hébraïques et arabes du roman, mais aussi à l’Historia de Proeliis du XIe siècle, au célèbre Roman d’Alexandre d’Alexandre de Bernay et de Pierre de Saint-Cloud (à qui la poésie française doit son alexandrin), à l’Alexanderlied allemand, au Libre de Alexandre espagnol, au Kying Alisaunder anglais.
Ainsi adapté dans un grand nombre de langues, le Roman d’Alexandre bénéficiait au Moyen Âge d’une aire de diffusion plus importante que celle de la Bible.
(1) Claire Muckensturm-Poulle - Dialogues d’histoire ancienne
(1) Danièle James-Raoul, Claude Thomasset - Dans l’eau, sous l’eau : le monde aquatique au moyen âge
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