Peuples fantastiques de l’Inde
Nous n’avons plus aujourd’hui les mêmes raisons que les scholars de l’Antiquité de faire la fine bouche devant les « données » incroyables qu’avaient accumulées, sur les nombreux peuples de l’Inde, les officiers ou les émissaires d’Alexandre et de ses successeurs séleucides : les Indiens eux-mêmes ont toujours mêlé l’imaginaire et le réel et ce que nous appelons histoire a toujours fait, chez eux, sur de vastes condominiums, bon ménage avec la fable.
Depuis le milieu du dernier siècle, plusieurs des « nations » que Pline, ou Élien, ou Solin, et tout ce qui dépend de Ctésias, ont caractérisées par des traits monstrueux, se sont laissé expliquer avec vraisemblance comme l’humanisation de figures mythiques, génies ou démons, connus dans les Véda ou dans les épopées. On peut encore glaner. (1)
Unijambistes, Troglodytes, Sciapodes, Satyres et autres êtres extraordinaires
Sciapode
Les unijambistes (monocoles) et même ces étranges sciapodes « qui se font de l’ombre avec leurs pieds » peuvent être de ces ascètes ou sādhu, « saints hommes », si nombreux dans l’Inde de ce temps et aussi dans l’Inde d’aujourd’hui, qui se font un mérite de prendre des postures extrêmement pénibles et de les garder pendant un temps invraisemblablement long : se tenir debout sur une seule jambe est une observance bien connue (de même avec un bras levé).
Une autre prouesse consiste à se suspendre par les pieds à un crochet ou à un nœud fixé au sommet d’une sorte de bâti très rudimentaire : la tête qui pend vers le bas peut être à l’ombre des pieds !
Les hommes appelés « Monocoles » qui n’ont qu’une jambe sont [écrit-il] remarquablement doués pour le saut ; ces mêmes hommes sont aussi nommés « Sciapodes », parce qu’au plus fort de l’été ils se couchent sur le sol et se font de l’ombre avec leur pied ; ils vivent non loin des Troglodytes ; en revanche à l’ouest de ces peuples certains n’ont pas de cou et ont des yeux sur les épaules.
II y a aussi les Satyres dans les montagnes orientales des Indes (on l’appelle la région des Catarcludes) ; ce sont des êtres très agiles qui sont tantôt à quatre pattes, tantôt en position verticale comme des hommes ; vu leur rapidité, on ne peut les capturer que lorsqu’ils sont vieux ou malades. (2)
Les Sans-bouche existent dans les épopées indiennes
De la peuplade des « A-stomes », des Sans-bouche, située « aux environs de la source du Gange », il est dit que, privés de bouche, « ils vivent de l’air qu’ils respirent et des parfums qu’ils aspirent par les narines ; qu’ils ne prennent ni nourriture ni boisson, se contentant des parfums divers des racines, des fleurs et des pommes des bois qu’ils emportent avec eux si le voyage doit se prolonger, pour ne pas manquer d’odeur à respirer ; qu’une odeur un peu trop forte suffit d’ailleurs à leur ôter la vie sans difficulté » (Pline, VII, 25, trad. Schilling).
Ces malheureux, ou bienheureux, sont simplement, dégradé en tribu humaine, un type de génies que mentionne encore l’épopée : les Gandhapa, proprement « Buveurs de parfums », font partie (Hopkins, Epic Mythology, 1915, # 119 b) d’un groupe où figurent aussi les buveurs de chaleur, les buveurs par regard, les mangeurs par toucher, les étincelants par pensée. Pourquoi Ctésias aurait-il ajouté de son invention à ces étrangetés ? Les Indiens y suffisaient. (1)
Les hommes à tête de chien récoltent l’ambre et la pourpre
Cynocéphale
Ctésias raconte que les Cynocéphales qui vivent dans les montagnes ne travaillent pas et qu’ils vivent de la chasse. Lorsqu’ils ont tué une bête, ils la font sécher au soleil. Ils élèvent aussi beaucoup de petits bétails, chèvres et ânesses dont ils boivent le lait et le lait caillé. Ils mangent aussi le fruit du « Siptachora » d’où l’on tire l’ambre (car ce fruit est très sucré). Ils les font sécher et en remplissent des corbeilles, comme on le fait en Grèce avec les grappes de raisins.
Les Cynocéphales construisent un radeau, ils y placent leur cargaison et emportent ainsi leur provision de fruits, la pourpre des fleurs qu’ils ont bien nettoyées [et l’ambre] ; tout cela vaut deux cent cinquante talents et ils assurent le transport une fois par an ; ils emportent également la même quantité de pourpre animale et d’autres substances ; et chaque année ils portent ainsi pour mille talents d’ambre au roi des Indiens. (2)
(1) Georges Dumézil - La courtisane et les seigneurs colorés
(2) Ctésias - Histoire de l’Orient
Ajouter à mes favoris Recommander ce site par mail Haut de page
Cet article vous a plu, ou vous appréciez ce site : dites-le en cliquant ci-contre sur le bouton "Suivre la page" : |
Sélection d’articles de la semaine :
Sainte Brigitte de Suède, patronne des pèlerins - Écrits de voyageurs en Terre sainte au fil des siècles, pèlerins vers Jérusalem ou simples passants - Pèlerin d’Orient : à pied jusqu’à Jérusalem […]
17 mars 2024, 12 h 53
Héros populaire en Europe et en Orient, Alexandre le Grand fut et il est, en Perse, un héros national. L’orgueil iranien refusa de voir un conquérant dans son vainqueur et fit couler dans ses veines le sang royal des Kéanides. […]
René Descartes - Le discours de la méthode - Aux sept coins du monde, promenade photographique et littéraire sur toutes les mers de la terre […]
15 mars 2024, 12 h 58
Matthieu Paris est un moine bénédictin anglais du XIIIe siècle. Historien et chroniqueur, il rédige la Chronica Major, une monumentale histoire du monde depuis les origines jusqu’à 1259, l’année de sa mort. À la British Library se trouve une carte qu’il a dressée en 1253 et qui indique, à destination des voyageurs, les différentes routes et variantes pour le voyage à travers l’Europe et jusqu’en Terre sainte. Il détaille aussi l’itinéraire jusqu’à Rome. - Via Francigena : à pied jusqu’à Rome […]
14 mars 2024, 12 h 23
Chiraz : une ville de province écrasée de soleil - Voyage en Iran, au pays des mollahs et des femmes voilées - Alexandre le Grand et l’Orient - Les conquêtes du Macédonien depuis la Perse jusqu’en Inde - Voyage au bout du monde et fusion entre les cultures - Hellénisme […]
Le voyage en Terre sainte du XVIe au XVIIIe siècle - Pèlerin d’Orient : à pied jusqu’à Jérusalem […]
Extraits de ’Pèlerin d’Orient’ - récit d’un voyage à pied jusqu’à Jérusalem […]
11 mars 2024, 17 h 33
Épouses, courtisanes, concubines et prostituées : par rapport à la mère de famille, la courtisane incarne la licence : elle s’affiche partout, dans les lieux traditionnellement réservés aux hommes et elle est de toutes les fêtes, de toutes les beuveries […]
10 mars 2024, 12 h 47
Diaporama de Suisse (1) d’un voyage à pied de Paris à Rome, cheminement contemporain sur la route des pèlerins d’autrefois - Via Francigena : à pied jusqu’à Rome […]
09 mars 2024, 12 h 31
Symbolique et enjeux géopolitiques de Jérusalem dans le conflit israélo-palestinien - Pèlerin d’Orient : à pied jusqu’à Jérusalem […]