Onirik
« La durée du voyage à pied, c’est le phrasé qui transforme du solfège en musique.«
Le texte de ce récit est l’illustration de ce bel aphorisme. L’auteur, François–Xavier de Villemagne au nom prédestiné (‘Magna Villa’) est un pèlerin original autant qu’un marcheur non conventionnel : pèlerin qui veut rejoindre Rome depuis Paris seulement après être descendu tout en bas de la Botte, et marcheur qui chausse des sandales de préférence à des godillots, comme lors de précédente marches de Paris à Jérusalem ou encore dans le Hindu Kush du nord du Pakistan !
Dès lors, l’originalité de l’homme se retrouve dans le regard qu’il porte sur le monde et sur le sens de son périple comme en atteste cette citation en exergue.
Les raisons de son départ sont dites au fil des pages et l’on comprend qu’aucune ne supplante les autres. Pourtant une résume toutes les autres et elle a pour nom Peggy, une Américaine rencontrée à Jérusalem à l’issue de son précédent pèlerinage, qui lui avait écrit : « Forget you ! [T’oublier !] Comment pourrais–je oublier ton regard ?. » Et c’est pour recouvrer ces yeux clairs lavés par huit mois de marche et ce regard « simple, clair, posé, dense, profond« où l’on lisait la vérité que François–Xavier de Villemagne repartit.
Autant le récit du premier pèlerinage Pèlerin d’Orient, à pied jusqu’à Jérusalem montrait un homme « malheureux comme une pierre« qui se défaisait longuement de ses cuirasses, autant ce pèlerinage–ci emporte l’adhésion pour cet homme plus en paix avec lui–même et qui pour cette raison décrit les personnes rencontrées non pour ce qu’elles lui apportent mais pour ce qu’elles lui permettent de comprendre de leurs vérités.
Ainsi une Suissesse à qui il annonce qu’il priera pour elle à Rome lui répond–elle avoir essayé plusieurs fois de croire sans avoir jamais réussi. Et François–Xavier de Villemagne de relever une sorte de regret, « peut– être aussi l’envie devant ceux qui ont reçu la grâce de croire. »
Plus loin, en Suisse encore, le pèlerin, accueilli par une famille de cinq enfants dont le deuxième souffre d’autisme et d’épilepsie, est saisi de la joie de vivre qui demeure dans cette famille où cet enfant–ci « semble avoir trouvé sa juste place et pas seulement la place unique. »
De même en Italie, une Mère supérieure d’un couvent où ne vivent plus que quatre moniales très âgées croule sous les tâches harassantes, matérielles et spirituelles. Elle lui déclare que les moniales ayant toujours vécu ici, leur place est là et la sienne aussi. Elle acquiesce quand il parle de bonheur, « non pas une oisiveté béate mais cette certitude intime d’être à la bonne place. J’ai l’impression d’avoir formulé… l’intuition floue d’une évidence… Et je lis la reconnaissance dans son regard. »
Cette réflexion sur la juste place est récurrente dans le récit, y compris dans ses réflexions sur la juste place de la foi dans la société des hommes. Elle lui inspire une observation riche d’enseignement à la faveur d’un débat télévisé qu’il relate ainsi : « J’ai vu les convictions de l’Eglise défendues avec force par un homme jeune, ordinaire, moderne et pas coincé, qui ne s’en laissait pas conter et dont les avis étaient respectés par ceux qui les attaquaient… Quel bol d’air pur en comparaison de la chape laïciste qui pèse sur la France ! » Vérité d’un pays, vérité des personnes.
Plus au sud encore, à Otrante, point le plus oriental de l’Italie, devant les ossements exposés de huit cents hommes qui furent décapités en 1480 pour avoir refusé d’abjurer, il se remémore les mots d’un rabbin qui en appelait à la pudeur en faisant visiter le mémorial Yad Vashem à Jérusalem où sont exposées des photos de déportés nus au bord d’une fosse d’un camp d’extermination. « Les photos qui se trouvent dans mon dos, je refuse de les regarder et je vous supplie d’agir de même. Il ne s’agit pas de nier, mais songez seulement : si c’était votre père, si c’était votre mère qui étaient là, tremblants, humiliés, à quelques secondes d’une mort horrible, accepteriez–vous de lever les yeux sur eux ? Accepteriez–vous qu’ils soient livrés en pâture au regard des autres ? » Juste place, juste regard.
Et parce que tout pèlerinage a une fin, la fin de celui–ci prépare merveilleusement au retour à la vie ordinaire par le compte–rendu d’une soirée à l’ambassade de France animée par un Français, prêtre et diplomate à la fois, que le regard affuté de François–Xavier de Villemagne croque sans rien perdre de l’affectation et de la prétention du personnage. Il est aussi permis de rire à se tordre pendant un pèlerinage !
Au final, de même que ce pèlerin a fait œuvre de poésie dans la citation en exergue, de même le récit de ce pèlerinage nous exhorte à faire de notre vie une poésie, au sens étymologique du terme grec ‘poièsis’, qui est l’acte de création.
Éric N.
Onirik - 17 février 2009
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