Joachim du Bellay
En 1553, un cousin de Joachim du Bellay, le cardinal Jean du Bellay, est appelé par le roi Henri II, en guerre contre Charles–Quint, pour négocier avec le pape Jules III. Joachim, alors âgé de 31 ans et qui a déjà publié avec Ronsard la fameuse Défense et illustration de la langue française l’accompagne en tant que secrétaire. Partis à la fin du mois d’avril 1553, les deux hommes passent par Montargis, Nevers, Lyon, Genève, Côme, Ferrare et arrivent à Rome vers la mi–juin.
Nourri, comme tous ses contemporains lettrés, par la culture latine, fervent admirateur des Anciens, et impatient de connaître l’Italie où la Renaissance érudite et artistique a éclot, Du Bellay part dans l’enthousiasme. De plus, en tant que capitale de la chrétienté d’Occident et siège de la papauté, la Ville éternelle offre de nombreux espoirs de carrière. Mais Rome qu’il avait tant magnifié dans ses rêves le déçoit.
Au service de son cousin cardinal, Du Bellay est cantonné dans son poste d’intendant à des tâches ingrates. Il doit s’occuper, par exemple, de régler les divers créanciers, voire de les faire patienter (le cardinal entretenait plus de cent personnes en un magnifique palais). Sa fonction lui fait en outre découvrir les turpitudes, la corruption et la débauche qui sévissaient dans la capitale pontificale. Les quatre années que durent le séjour prennent de plus en plus l’apparence d’un exil. D’une santé fragile, isolé par la surdité dont il est atteint, et surtout nostalgique de son Anjou natal, il ne peut apprécier la beauté de Rome sans amertume : le spectacle des ruines le plonge dans une sombre méditation sur le déclin de toute chose, qui lui inspire le recueil Les Antiquités de Rome, publié à son retour en France, en 1558. Si Du Bellay n’est pas le premier poète de la Renaissance méditant sur Rome, il est le seul à lui consacrer toute une œuvre poétique en français et à lui offrir le sonnet jusqu’alors réservé à l’évocation amoureuse.
Ruines et nostalgie
Sacrés coteaux, et vous saintes ruines,
Qui le seul nom de Rome retenez,
Vieux monuments, qui encor soutenez
L’honneur poudreux de tant d’âmes divines :
Arcs triomphaux, pointes du ciel voisines,
Qui de vous voir le ciel même étonnez,
Las, peu à peu cendre vous devenez,
Fable du peuple et publiques rapines !
Et bien qu’au temps pour un temps fassent guerre
Les bâtiments, si est–ce que le temps
Œuvres et noms finablement atterre.
Tristes désirs, vivez doncques contents :
Car si le temps finit chose si dure,
Il finira la peine que j’endure.
(Les Antiquités de Rome – Sonnet VII)
Rome de Rome est le seul monument
Nouveau venu, qui cherches Rome en Rome
Et rien de Rome en Rome n’aperçois,
Ces vieux palais, ces vieux arcs que tu vois,
Et ces vieux murs, c’est ce que Rome on nomme.
Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme
Celle qui mit le monde sous ses lois,
Pour dompter tout, se dompta quelquefois,
Et devint proie au temps, qui tout consomme.
Rome de Rome est le seul monument,
Et Rome Rome a vaincu seulement.
Le Tibre seul, qui vers la mer s’enfuit,
Reste de Rome. Ô mondaine inconstance !
Ce qui est ferme, est par le temps détruit,
Et ce qui fuit, au temps fait résistance.
(Les Antiquités de Rome – Sonnet III)
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