L’équipement
Hormis le beau temps, le plus grand luxe du marcheur est la légèreté. Quitte à manquer parfois, je préfère n’emporter que le minimum : plutôt pas assez qu’une once de superflu. Je me suis donc contenté d’un sac de 25 litres, soit environ 8 à 10 kilos, selon les provisions du jour. On peut voyager avec moins de poids encore, mais je n’ai jamais réussi à me séparer de quelques livres.
Le sac
Dans le sac, un matelas et un sac de couchage qui pèse à peine 500 grammes, une moustiquaire pour les nuits d’été à la belle étoile, une veste pour la pluie, une polaire sans manches et une autre avec manches, un T-shirt et un caleçon de rechange, une pharmacie qui se résume à des vitamines et quelques cachets d’aspirine. Des affaires de toilette, un fond de lessive. En guise de serviette, un gant de toilette : moins luxueux qu’un drap de bain et presque aussi efficace ; en tout cas, un rapport poids/utilité inégalable ! Pas de tente ni de réchaud, pas de chaussettes - corvée quotidienne de lavage en moins grâce aux sandales -, pas de poncho mais un parapluie télescopique, accessoire indispensable que je ne sacrifierais sous aucun prétexte.
Le plus lourd, ce sont les cartes, le nécessaire à écriture, les livres. Ah ! les livres… Je n’arrive pas à m’en passer. Et pourtant, je connais la difficulté de lire au cours d’un tel voyage : les paysages, les rencontres, les découvertes de chaque jour, sans compter les innombrables heures de marche, rien n’incite à se plonger dans les pages d’un autre quand le monde offre son grand livre ouvert. Peine perdue.
Mon sac, d’une contenance de 25 litres, était celui du périple à pied vers Jérusalem, et son contenu était similaire.
Les vêtements
La combinaison T-shirt / polaire coupe-vent sans manches / Polaire avec manches / Veste contre la pluie offre une grande souplesse. Un T-shirt de rechange suffit. Au lieu d’un pantalon long, short ou pantalon avec jambes zippées, j’ai préféré un pantalon mi-court, léger à la chaleur et qui permet d’entrer dans une église sans le scrupule d’y arborer une tenue indécente. Et qui épargne de nombreuses lessives, car c’est surtout le bas de pantalon qui se salit sur les chemins, dans la boue et sous la pluie.
Sur la tête, une casquette, et un bandana autour du cou, petit linge aux multiples usages qui sert aussi à s’écharper le bras en cas de fracture !
Un tel équipement permet de traverser sereinement trois saison - printemps, été, automne - et les périodes clémentes de l’hiver. Tout va bien tant qu’il n’y a pas de neige…
Aux pieds
Si, lors de mon périple vers Jérusalem, j’avais utilisé des chaussures de marche " comme tout le monde ", cette fois-ci, j’ai préféré des sandales ; non pas pour ressembler à un frère prêcheur, mais par souci de légèreté. Porter des grosses chaussures, c’est traîner au moins 800 grammes au bout de chaque jambe, sans compter la paire plus légère dans le sac pour soulager, le soir, les pieds fatigués et meurtris ; c’est tranbspirer, patauger des heures dans l’humidité à cause de la traversée d’une prairie gorgée de rosée, ou d’une averse violente qui a tranbspercé le tissu prétendument imperméable et respirant.
Avec des sandales, au contraire, quelle légèreté ! On se mouille plus vite sous la pluie, mais ça sèche plus vite aussi. Et s’il faut traverser un gué, on n’est pas obligé de patauger ensuite des heures dans des chaussures trempées.
J’ai été définitivement convaincu par l’usage des sandales, y compris en montagne. Hors des périodes de pluie, le confort d’avoir les pieds à l’air est incomparable. Elles me servaient presque d’altimètre tant ma plante de pieds s’était habituée à reconnaître, vers 1 800 mètres, le souffle glacial et desséchant qui dévale des sommets et s’insinue entre la semelle et la peau, emportant dans son filet toute trace d’humidité. Quand je devais traverser des portions enneigées, je m’efforçais de placer chaque pas dans une des marques de mes prédécesseurs : elles étaient toujours plus larges que les miennes, profondes, bien tassées, solidement crantées. Et si, d’aventure, il m’arrivait de patauger dans un névé… eh bien, après tout, on n’en meurt pas et les pieds ne gèlent pas pour autant. Sans cesse agités par le mouvement de la marche, ils ont rarement froid, même quand la température m’obligeait à protéger mes mains.
Quant au risque de se tordre une cheville, il est faible à condition de savoir marcher. L’usage des sandales apprend d’ailleurs à le faire plus adroitement. Comme lorsque l’on monte un cheval à cru ou sans étrier, rien de tel pour acquérir un meilleur sens de l’équilibre que d’affranchir ses chevilles d’un carcan qui ne favorise que la paresse des muscles et des articulations. Au lieu de confier à la tige de la chaussure le soin de rectifier des positions hasardeuses, on apprend à poser les pieds de manière juste, à identifier spontanément et à chaque enjambée les appuis qui ne céderont pas et sur lesquels on ne dérapera pas, même dans les pentes raides, sur les dévers et dans les éboulis. Cela dit, ces derniers sont désagréables à franchir et, quand je m’égarais dans les moraines et au milieu des blocs instables, des pierres charriées au hasard par les cascades de glace de l’hiver et les torrents de printemps, entassées, brisées, traîtresses, je n’en menais pas large. À quelques exceptions près, cependant, et grâce à l’agitation des extrémités due à la marche, j’ai rarement eu froid aux pieds jusqu’à début décembre en plaine et 3 000 mètres en été.
Le risque d’ampoules est beaucoup moins grand qu’avec des chaussures car il y a moins d’échauffement. Deux possibilités de se blesser, cependant :
un jour, au bout de dix heures sous une pluie battante, mes pieds ont fini par s’écorcher à force de frotter contre les lanières des sandales trempées. Et d’autant plus que je descendais à flanc de montagne, et les pieds glissaient sur la semelle trempée des sandales. Des blessures superficielles qui saignaient un peu et piquaient, sur lesquelles aucun pansement ne tient plus de dix pas car, justement, la lanière frotte à cet endroit : c’est un des rares inconvénients des sandales.
l’apparition de crevasses dues au dessèchement de la peau. Cela m’est arrivé au talon et à un orteil.
Malgré ces inconvénients, les avantages l’emportent largement, et je reprendrais certainement des sandales pour une nouvelle marche.
De l’Hindu Kush au lac des Quatre-Cantons
« Le soleil me donne des ailes, et mes nouvelles sandales aussi, étrennées il y a trois jours. Achetées à Montbéliard, je les portais depuis lors dans le sac, préférant user les vieilles jusqu’à la corde dans les cantons de basse altitude afin de préserver les crampons neufs pour la montagne. La veille de l’arrivée à Einsiedeln, les vénérables tatanes ont rendu l’âme. Si je ne discutais pas l’utilité de chaque dizaine de grammes qui pèse sur mes épaules, je les aurais peut–être conservées vingt–quatre heures afin de les offrir en ex–voto à Notre–Dame–des–Ermites, pour les accrocher à côté du boulet de forçat qui pend au bout de sa chaîne en face de la chapelle des Grâces. Au lieu de cette fin prestigieuse, elles achevèrent leur existence dans une poubelle publique à deux pas du lieu où elles avaient rendu l’âme, sur les rives du lac d’Oberägeri. Ces sandales qui m’ont porté dans l’Hindu Kush jusqu’à 4 500 mètres d’altitude et qui ont foulé au Pakistan et en Inde les champs de bataille d’Alexandre le Grand !
Pas de regrets excessifs néanmoins, parce que le sac s’allège d’autant. Il me tarde aussi d’achever les Promenades dans Rome car, depuis Vesoul, un volume s’est ajouté au pavé de Stendhal et voisine avec les cinquante premières pages de l’Assimil d’italien tome II : La Divine Comédie. Des idées grandioses - « imposantes par la taille et la majesté », précise le dictionnaire -, j’en ai à revendre. Vouloir franchir les montagnes au plus haut, c’en était une ; lire Dante, c’en est une autre. Y a–t–il meilleur moyen de s’approprier l’Italie éternelle que de cheminer aux côtés de Dante, la main dans celle de Virgile, depuis les terrasses de « L’Enfer » jusqu’à celles du « Paradis » ? Cette transfiguration qui est aussi un voyage concret dans l’Italie des années 1300, dont les stances imprègnent autant l’âme des Italiens que les répliques de Molière parlent au souvenir des Français.
Seulement voilà : Stendhal n’a pas encore fini de me décrire les merveilles de la Ville éternelle et Dante sommeille inutilement entre une polaire usagée et la dernière livraison du courrier de France. Alors, en grimpant sur les versants boisés qui dominent le lac d’Uri et ouvrent par endroits des panoramas époustouflants sur le lac des Quatre–Cantons et les cimes enneigées, je porte sur mes épaules Rome, l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. D’autres se prendraient pour Hercule pour moins que ça ! »
cf le livre Pèlerin d’Occident p. 74
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