La Véronique, symbole du jubilé romain
Selon une tradition ancienne qui remonte à l’évangile apocryphe de Nicodème au Ve siècle, la « Véronique » est un linge dont se serait servie une femme proche de Jésus pour essuyer son visage lors de sa montée au Golgotha, et sur lequel les traits du Seigneur se seraient miraculeusement imprimés. Arrivée à Rome aussi mystérieusement que le crucifix de Lucques, la relique devint un tel objet de vénération que voir la Véronique devint synonyme du pèlerinage romain.
Au VIIIe siècle, le pape Jean VII plaça la relique dans un oratoire qu’il fit construire au Vatican. Exposé au XIIe siècle au Latran, le voile fut transféré au début du XVIIe siècle à la Basilique Saint–Pierre de Rome, où il fut exposé pour la dernière fois à la vénération de fidèles en 1854. Il n’a fait l’objet d’aucune étude scientifique, mais les copies conservées à Rome et à Gênes rappellent l’image du saint suaire de Turin. Les spécialistes s’accordent depuis longtemps pour nier l’existence historique de la sainte femme éplorée à la sixième station du chemin de croix. Le nom serait une corruption du latin Vera Icona, l’« Image véritable ».
1300 : Dante et la Véronique
En 1300, le premier Jubilé institué par le pape Boniface VIII dans la bulle Antiquorum habet draina un flot immense vers la Ville éternelle. Il reste associé à la vénération du voile de Véronique. Dante, l’évoque dans Le Paradis (XXXI, 103–105) :
Comme un homme, venu, qui sait ? de Croatie
Jusque chez nous, pour voir la Véronique,
Ne peut en assouvir sa faim invétérée
Mais en pensée dit, tant qu’on la lui montre :
« Ô mon Seigneur Jésus, ô Dieu de vérité,
Votre semblance était donc ainsi faite ? »
En 1350, les pèlerins chantaient cet hymne composé à Avignon par le pape Jean XXII (1316–1334) :
Je vous salue, ô saint visage de notre Rédempteur
Où brille la figure de la divine splendeur.
Imprimé dans le tissu d’une blancheur de neige
Et donné à Véronique comme signe d’amour.
Je vous salue, visage du Seigneur, image bienheureuse.
Je vous salue notre gloire en cette rude vie.
1581 : Une description de Montaigne
Entre juin 1580 et novembre 1581, Michel de Montaigne entreprit un voyage jusqu’à Rome, en passant par l’est de la France, la Suisse, la Bavière et le nord de l’Italie. Il est présent à Rome lors d’une cérémonie où l’on présente la relique à la vénération des fidèles :
Ces jours–ci, on montre la Véronique qui est un visage ouvragé et de couleur sombre et obscure, dans un carré comme un grand miroir. Il se montre avec cérémonie du haut d’un pupitre qui a cinq ou six pas de large. Le prêtre qui le tient a les mains revêtues de gants rouges, et il y a deux ou trois prêtres qui le soutiennent. Il ne se voit rien avec si grande révérence, le peuple prosterné à terre, la plupart les larmes aux yeux, avec de ces cris de commisération. Une femme qu’on disait être spiritata, se tempêtait, voyant cette figure, criait, tendait et tordait ses bras. Ces prêtres se promenant autour de ce pupitre, la présentent au peuple, tantôt ici, tantôt là ; et à chaque mouvement ceux à qui on la présent s’écrient.
(Michel de Montaigne, Journal de voyage)
Texte complet disponible sur le site de la BNF :
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