Maximilien Misson, un huguenot en Italie
Après s’être exilé en Angleterre en 1685 à la suite de la révocation de l’édit de Nantes qui l’avait privé de sa charge au parlement de Paris, Maximilien Misson entreprend le Grand Tour en 1687 et 1688, périple qui le conduit à travers la Hollande, l’Allemagne et l’Italie. En 1691, il publie un Nouveau voyage d’Italie, traduit en anglais, allemand et hollandais, et constamment réédité au siècle suivant.
L’ouvrage se démarque des publications convenues du XVIIe siècle : l’aperçu est plus critique et l’Italie n’est pas toujours admirable. Il instaure et défend le récit par lettres pour rendre compte de son voyage, genre qui va connaître une longue postérité. Conscient de l’abondante littérature déjà disponible sur le voyage d’Italie, Misson annonce dès l’ouverture de ses chapitres romains : « Je vous donnerai seulement une idée générale de cette fameuse ville, et ensuite je ne vous entretiendrai que de choses nouvelles ou peu connues. » Son regard de protestant du Nord sur l’exubérance des prédicateurs romains apporte une note rafraîchissante en contrepoint à la complaisance habituelle des voyageurs catholiques.
Des prédicateurs soupçonnés de concupiscence
Vous avez raison de croire que j’ai eu la curiosité d’entendre ici quelques prédicateurs, mais vous ne devinez pas moins bien, quand vous soupçonnez que j’aime peu leur manière de prêcher ; et vous en auriez pu dire autant de leurs prédications.
Marie-Madeleine par Léonard de Vinci
À parler généralement, les prédicateurs de ce pays sont des grimaciers. Ils ont bien quelques talents naturels qui tendent à quelque partie de l’éloquence, mais ils ignorent absolument l’éloquence sublime. Leurs gestes sont des gesticulations outrées, leur variation de voix les jette du fausset à la basse vingt fois en un quart d’heure, et leurs discours n’ont ni force ni gravité. Ils crient, ils se tourmentent ; la plupart de leurs chaires sont comme des balcons où ils se promènent avec chaleur et avec bruit ; mais tout cela ne prouve rien, ni ne signifie rien. Ils n’ont pas le secret de cette énonciation tantôt douce et tantôt véhémente qui charme, qui émeut et qui enlève l’auditeur ; et d’ailleurs ils ne débitent que des contes et des sornettes.
J’entendis l’autre jour un carme qui prêchait sur la Madeleine aux repenties de Sainte–Croix et qui donnait carrière à son imagination. Pour exalter davantage le sacrifice que sa pénitente fit des plaisirs du monde, il insista pendant un quart d’heure à la dépeindre comme la plus charmante créature qui fût sous le ciel. Il n’y a point de trait de beauté sur le corps le plus accompli qu’il ne représentât. Il parlait en peintre savant plutôt qu’en prédicateur et je ne sais s’il ne ressemblait point à Perrin del Vague, qui faisait presque toujours le portrait de sa maîtresse quand il y avait quelque belle femme à peindre dans une histoire.
Établissement de jeunes filles pauvres par la noblesse romaine
Deux jours après notre retour de Naples, nous vîmes une assez agréable cérémonie, que j’ai envie de vous représenter. Une congrégation de soixante gentilshommes, assemblent volontairement un fonds pour marier ou pour encloîtrer tous les ans 350 filles. C’est ce qu’il faut premièrement savoir. Voici ensuite comment la cérémonie se fait.
La fête de l’Annonciation , le Pape et le Sacré–Collège se trouvent à la Minerve ; le pape célèbre une grande messe, ou bien quelque cardinal officie en son absence, et toutes les filles se confessent et communient. Cela étant fini, ces filles qui sont habillée de serge blanche et enveloppées comme des fantômes dans un grand drap qui leur couvre la tête en ne leur laisse qu’une petite visière, ou souvent même un petit trou, pour un œil feulement ; ces filles, dis–je, entrent deux à deux dans le chœur où tous les cardinaux sont assemblés, et viennent se prosterner à genoux au pied du pape ou du cardinal qui fait la fonction.
Un certain officier désigné pour cela se tient à côté, ayant dans un bassin de petits sacs de tabis blanc, chacun desquels renferme ou bien un billet de 50 écus pour celles qui choisissent le mariage, ou un autre de cent écus pour celles qui préfèrent le couvent. Chaque fille ayant bien humblement déclarés son choix, on lui donne son sac par un petit pendant : elle le baise en le recevant, elle fait une profonde révérence et défile aussitôt pour faire place aux autres. Les nonnes futures sont distinguées par une guirlande de fleurs qui couronne leur virginité ; elles tiennent aussi le rang honorable à la procession.
Des 350, il n’y en eut que 32 qui aient voulu faire le mieux de saint Paul. Les 318 autres se sont contentées de faire le bien : elles ont mieux aimé maritatsi que monacarsi.
Désaffection pour le pèlerinage
Le nombre des pèlerins n’a pas été des plus grands cette année. [Alors que] j’ai lu ici dans une description de l’hôpital de la Trinité que l’an 1600, le dernier an du grand jubilé, cet hôpital reçut ou eut soin de pourvoir selon l’ordinaire 440 500 hommes et à 25 500 femmes. Les pèlerins qui ne viennent pas de plus loin que de quelque endroit d’Italie sont couchés et traités pendant trois jours, et les Transmarins ou les Ultra–Montains ont un jour de plus. Les princes, les princesses, les cardinaux et le pape même leur lavent les pieds et les servent à table.
(Maximilien Misson, Voyage d’Italie, Éd. H. van Bulderen, 1702)
Texte complet disponible sur le site de la BNF :
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