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Le roman
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Un pilotin de l’armement Bordes

Trois-mâts dans la brise

Le 25 février 1890, Joseph Adrien embarque à 17 ans en tant que pilotin sur le 4-mâts Nord de l’armement Bordes à destination de Valparaiso. À la date du jeudi 26 juin, Joseph Adrien a noté dans son journal, de sa belle écriture régulière :

« De minuit à 4 heures, la brise augmente graduellement, nous filons d’abord 9 nœuds, puis 10 puis 11, puis 13. et même 15. La mer n’a pas encore eu le temps de grossir. La marche du navire s’en ressent bien. La brise est très forte et nous oblige bientôt à serrer nos petites voiles d’étai, puis nos perroquets. La mer écume autour du Nord. Chaque instant nous rapproche du Cap. Si cette brise dure, nous l’aurons doublé demain et nous serons entrés dans les mers du Pacifique.

Dans le quart de 4 heures à huit heures, nous filons 55 milles, soit une moyenne de près de 14 nœuds. C’est vraiment dommage que nous ne voyons aucun navire pour avoir le plaisir de le gagner. À huit heures, le vent fraîchit encore et nous force à serrer la grand’voile et à prendre un ris dans les huniers.

Nous nous avançons toujours, Malheureusement, la saute de vent que l’on craignait nous arrive à onze heures. Cette forte brise du S.O. vient détruire une grande partie de nos espérances. Si nous étions plus au large maintenant, nous pourrions courir une bordée dans le nord.

Le temps est sombre, la température assez basse. Peu à peu, le vent mollit. Nous larguons les ris des basses voiles, et pendant un moment les perroquets restent dessus. Mais à six heures, on les serre de nouveau. La mer commence à embarquer dans la nuit.

Le point de midi indique L 56°29’ - G 68°09’ – M 175 – T 9 788. La vitesse moyenne journalière a été de 7,33 nœuds et la vitesse moyenne générale depuis Cherbourg est 5,29 nœuds.

Décidément, le retard pris dans le pampero ne se rattrapera pas. Le Cap-Horn se trouve à 59 milles par le travers tribord, mais le Cap Horn atteint ne veut pas dire qu’il soit franchi car, dans le Passage de Drake entre la Terre de Feu et la Péninsule Antarctique, déferlent les grands vents d’ouest permanents qu’aucune chaîne de montagnes n’arrête dans leur course folle autour de la terre er qui, bien souvent, font rebrousser chemin aux navires.

Vendredi 27 juin : « La brise ne veut malheureusement pas adonner. À 8 heures seulement, la sombre nuit se dissipe pour faire place à un triste jour. Pauvre parage. Et cependant, nous ne prenons pas le chemin pour le doubler rapidement ; et qui dit si nous n’allons pas rester ici, comme beaucoup de navires le font, pendant 8 jours, 15 jours, un mois même.

Notre second lui est resté une fois 22 jours pour passer le Cap Horn et j’ai entendu un matelot raconter qu’il avait louvoyé ici pendant deux mois. Le fait est que nous gagnons excessivement peu au vent. Au milieu de la journée, nous virons de bord et, cette fois courant dans le nord car nous sommes assez loin maintenant dans le sud.

Le point de midi met le Nord par 58° 37’ sud et 69° 30’ ouest, c’est-à-dire à la longitude du Cap Horn et à 158 milles dans le sud. Il s’agit maintenant de ne pas perdre en longitude pour considérer qu’il est franchi.

Gabiers dans la mâture


Samedi 28 juin : « La brise persiste toute la matinée pendant laquelle nous filons 7 à 8 nœuds. À 7 heures du matin, j’aperçois derrière, un navire qui a le cap droit sur nous, je m’empresse de mettre un fanal sur l’arrière afin de lui indiquer notre présence. Aussitôt il vient un peu sur tribord. Peu à peu, avec le jour, on distingue ses formes. C’est un trois-mâts carré, probablement celui qu’on a entrevu dans la brumaille. À 10 heures, il se trouve par notre travers, puis commence une lutte acharnée. Tantôt il nous passe devant, tantôt nous le laissons derrière. La victoire est indécise. Nous étarquons bien toutes nos voiles, mais ces petits temps conviennent mieux aux petits navires qu’au nôtre À 2 heures, il se trouve sur l’avant et j’ai de la peine en lisant son nom et sa nationalité inscrits sur l’arrière. Il se nomme Pionnier et il est de Hambourg. Ô rage ! C’est un Allemand qui nous a battus.

Vers 9 heures du soir, la brise commence à fraîchir et bientôt aussi à adonner. Ce sont des vents de nord. Nous courons droit sur l’Allemand dont les formes, grâce à la demi-clarté de la lune, commencent à grandir devant nous ». Le point de midi met Nord par 57° sud et 71° ouest soit à 30 milles dans le sud de l’île Diego Ramirez. Il a gagné, dans les dernières vingt-quatre heures, 92 milles dans l’ouest et s’est remonté de plus de 100 milles dans le nord.

Dimanche 29 juin. « Jusqu’à deux heures du marin, la distance entre nous et le navire allemand n’a pas sensiblement diminué, mais à partir de ce moment, nous nous approchons rapidement de lui. Nous filons 8 nœuds. À 8 h ½ nous nous trouvons par son travers et à 4 heures (après-midi) on distingue encore ses feux derrière nous.

La mer a un peu grossi et c’est sans doute cette circonstance même qui nous a donné le prix de la lutte. France, ton honneur est encore sauf. Nord tu conserves bien les qualités que l’on te donnait et si tu n’as pas encore trouvé ton maître et si, par instant, tu semblais fléchit pendant le combat, c’était pour rendre la victoire plus éclatante ».

Lundi 30 juin : « Le temps est chargé et de nombreux grains déversent de fortes ondées de pluie. Le capitaine a parié que la traversée de Diego Ramirez à Valparaiso ne dépasserait pas 12 jours. Mais cette espérance est fortement ébranlée car les vents n’ont pas l’air de vouloir devenir favorables. Le maître, sans doute aura raison ».

Ainsi, les courses, les défis et les paris, passionnés au temps des clippcrs sont encore d’actualité sur les grands voiliers. Il est vrai que les distractions en mer sont limitées et que défier un navire de rencontre ou parier sur une durée de traversée est aussi un bon moyen de motiver les hommes et d’alimenter les conversations... et puis il y a ta prime des 90 jours.

Le mardi 1" juillet, le point de midi situe Nord à 120 milles par le travers le l’île Noire au débouché du Canal Cokburn dans le Détroit de Magellan, canal fréquenté par les chasseurs de phoques. Cette fois le Horn est déjà loin derrière. Depuis l’île des États, les parages tant redoutés ont été franchis en à peine six jours. On en est au 79ème jour depuis Cherbourg et on a parcouru 10 038 milles à la vitesse moyenne générale de 3,29 noeuds. Ce n’est cependant que le mercredi que Joseph Adrien considère que l’épreuve du Horn est passée.

« Nous commençons à quitter les affreuses mers du Cap. Certes nous les aurons traversées sans misère. Notre mauvais temps à nous, c’est celui qui nous a arrête devant La Plata ». Haut de page

Claude et Jacqueline Briot - Marins Cap-Horniers du Nitrate : Embarquer, vivre et travailler à bord des grands voiliers Bordes

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