Lamartine à Rome et en Italie
Envoyé en Italie à 20 ans pour couper court à une relation amoureuse qui déplaisait à sa famille, Lamartine visite Florence, séjourne à Rome et arrive à Naples où il noue une idylle avec une fille de pêcheur. À son retour en France, Lamartine publie le très romantique Graziella qui raconte cette aventure et où il s’attache à décrire l’Italie des petites gens qui, aux rives d’Ischia et de Procida, vivent parmi leurs jardins et leurs vignes aussi simplement qu’aux plus beaux jours du monde antique. Comme Chateaubriand et de nombreux autres aristocrates du XIXe siècle, Lamartine achèvera quelques années plus tard son Grand Tour par le voyage en Orient au cours duquel il se rendra notamment à Jérusalem.
En marge de l’aventure amoureuse, Graziella évoque aussi la Rome éternelle que le jeune Lamartine découvre en compagnie d’un guide singulier.
Une travestie pour guide
La jeune fille était une cantatrice, élève et favorite de David. Le vieux chanteur la conduisait partout avec lui, il l’habillait en homme pour éviter les commentaires sur la route. Il la traitait en père plus qu’en protecteur, et n’était nullement jaloux des douces et innocentes familiarités qu’il avait laissé lui–même s’établir entre nous. David et son élève passèrent quelques semaines à Rome. Le lendemain de notre arrivée, elle reprit ses habits d’homme et me conduisit d’abord à Saint–Pierre, puis au Colisée, à Frascati, à Tivoli, à Albano ; j’évitai ainsi les fatigantes redites de ces démonstrateurs gagés qui dissèquent aux voyageurs le cadavre de Rome, et qui, en jetant leur monotone litanie de noms propres et de dates à travers vos impressions, obsèdent la pensée et déroutent le sentiment des belles choses.
La Camilla n’était pas savante, mais, née à Rome, elle savait d’instinct les beaux sites et les grands aspects dont elle avait été frappée dans son enfance. Elle me conduisait sans y penser aux meilleures places et aux meilleures heures, pour contempler les restes de la ville antique : le matin, sous les pins aux larges dômes du Monte Pincio ; le soir, sous les grandes ombres des colonnades de Saint–Pierre ; au clair de lune, dans l’enceinte muette du Colisée ; par de belles journées d’automne, à Albano, à Frascati et au temple de la Sibylle tout retentissant et tout ruisselant de la fumée des cascades de Tivoli. Elle était gaie et folâtre comme une statue de l’éternelle jeunesse au milieu de ces vestiges du temps et de la mort. Elle dansait sur la tombe de Cecilia Metella, et, pendant que je rêvais assis sur une pierre, elle faisait résonner des éclats de sa voix de théâtre les voûtes sinistres du palais de Dioclétien.
Le soir nous revenions à la ville, notre voiture remplie de fleurs et de débris de statues, rejoindre le vieux David, que ses affaires retenaient à Rome et qui nous menait finir la journée dans sa loge au théâtre. La cantatrice, plus âgée que moi de quelques années, ne me témoignait pas d’autres sentiments que ceux d’une amitié un peu tendre. J’étais trop timide pour en témoigner d’autres moi–même ; je ne les ressentais même pas, malgré ma jeunesse et sa beauté. Son costume d’homme, sa familiarité toute virile, le son mâle de sa voix de contralto et la liberté de ses manières me faisaient une telle impression, que je ne voyais en elle qu’un beau jeune homme, un camarade et un ami.
(Lamartine, Graziella, Hachette, 1910)
Texte complet disponible sur le site de la BNF :
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