Lamartine
Lamartine effectua un voyage en Orient pendant les années 1832 et 1833. Il publia ses notes sous le titre "Souvenirs, impressions, pensées et paysages pendant un voyage en Orient". |
Ceci n’est ni un livre, ni un voyage ; je n’ai jamais pensé à écrire l’un ou l’autre. Un livre, ou plutôt un poème sur l’orient, M de Chateaubriand l’a fait dans l’Itinéraire ; ce grand écrivain et ce grand poète n’a fait que passer sur cette terre de prodiges, mais il a imprimé pour toujours la trace du génie sur cette poudre que tant de siècles ont remuée. Il est allé à Jérusalem en pèlerin et en chevalier, la bible, l’évangile et les croisades à la main. J’y ai passé seulement en poète et en philosophe ; j’en ai rapporté de profondes impressions dans mon coeur, de hauts et terribles enseignements dans mon esprit.
La terre de Chanaan
Le 12, nous nous remîmes en marche avec la première lueur du jour ; nous franchîmes d’abord une colline plantée d’oliviers et de quelques chênes verts, répandus par groupes ou croissant en broussailles sous la dent rongeuse des chèvres et des chameaux. Quand nous fûmes au revers de cette colline, la terre sainte, la terre de Chanaan, se montra tout entière devant nous.
L’impression fut grande, agréable et profonde ; ce n’était pas là cette terre nue, rocailleuse, stérile, cette ruche de montagnes basses et décharnées qu’on nous représente pour la terre promise, sur la foi de quelques écrivains prévenus ou de quelques voyageurs pressés d’arriver et d’écrire, qui n’ont vu, des domaines immenses et variés des douze tribus, que le sentier de roche qui mène, entre deux soleils, de Jaffa à Jérusalem.
Trompé par eux, je n’attendais que ce qu’ils décrivent, c’est-à-dire un pays sans étendue, sans horizon, sans vallées, sans plaines, sans arbres et sans eau : terre potelée de quelques monticules gris ou blancs, où l’Arabe voleur se cache dans l’ombre de quelques ravines pour dépouiller le passant ; telle est, peut-être, la route de Jérusalem à Jaffa. [...]
En face, l’horizon, qui terminait la plaine de Zabulon, et qui s’étendait devant nous dans un espace de trois ou quatre lieues, formait une perspective de collines, de montagnes, de vallées, de ciel, de lumière, de vapeurs et d’ombre, ordonnés avec une telle harmonie de couleurs et de lignes, fondus avec un tel bonheur de composition, liés avec une si gracieuse symétrie, et variés par des effets si divers, que mon oeil ne pouvait s’en détacher, et que, ne trouvant rien, dans mes souvenirs des Alpes, d’Italie ou de Grèce, à quoi je pusse comparer ce magique ensemble, je m’écriai : "C’est le Poussin ou Claude Lorrain !"
Jérusalem
Après avoir gravi une seconde montagne, plus haute et plus nue encore que la première, l’horizon s’ouvre tout à coup sur la droite, et laisse voir tout l’espace qui s’étend entre les derniers sommets de la Judée où nous sommes, et la haute chaîne des montagnes d’Arabie. Cet espace est inondé déjà de la lumière ondoyante et vaporeuse du matin ; après les collines inférieures qui sont sous nos pieds, roulées et brisées en blocs de roches grises et concassées, l’oeil ne distingue plus rien que cet espace éblouissant et si semblable à une vaste mer, que l’illusion fut pour nous complète, et que nous crûmes discerner ces intervalles d’ombre foncée et de plaques mates et argentées, que le jour naissant fait briller ou fait assombrir sur une mer calme.
Sur les bords de cet océan imaginaire, un peu sur la gauche de notre horizon, et environ à une lieue de nous, le soleil brillait sur une tour carrée, sur un minaret élevé, et sur les larges murailles jaunes de quelques édifices qui couronnent le sommet d’une colline basse, et dont la colline même nous dérobait la base : mais à quelques pointes de minarets, à quelques créneaux de murs plus élevés, et à la cime noire et bleue de quelques dômes qui pyramidaient derrière la tour et le grand minaret, on reconnaissait une ville, dont nous ne pouvions découvrir que la partie la plus élevée, et qui descendait le long des flancs de la colline : ce ne pouvait être que Jérusalem. Cependant nous nous en croyions plus éloignés encore, et chacun de nous, sans oser rien demander au guide, de peur de voir son illusion détruite, jouissait en silence de ce premier regard jeté à la dérobée sur la ville de ses pensées. C’était elle ! Elle se détachait en jaune sombre et mat, sur le fond bleu du firmament et sur le fond noir du mont des Oliviers.
Nous arrêtâmes nos chevaux pour la contempler dans cette mystérieuse et éblouissante apparition. Chaque pas que nous avions à faire, en descendant dans les vallées profondes et sombres qui étaient sous nos pieds, allait de nouveau la dérober à nos yeux : derrière ces hautes murailles et ces dômes abaissés de Jérusalem, une haute et large colline s’élevait en seconde ligne, plus sombre que celle qui portait et cachait la ville : cette seconde colline bordait et terminait pour nous l’horizon.
Le soleil laissait dans l’ombre son flanc occidental ; mais rasant de ses rayons verticaux sa cime, semblable à une large coupole, il paraissait faire nager son sommet transparent dans la lumière, et l’on ne reconnaissait la limite indécise de la terre et du ciel qu’à quelques arbres larges et noirs plantés sur le sommet le plus élevé, et à travers lesquels le soleil faisait passer ses rayons.
Alphonse de Lamartine - Le voyage en Orient
Texte complet disponible sur le site de la BNF :
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