Nicolas Bénard, un pèlerin de 20 ans
À l’automne 1616, Nicolas Bénard, un jeune Parisien « âgé de 20 ans ou environ » quitte sa ville natale pour se rendre aux Lieux saints. Embarquant à Marseille, il enchaîne les escales habituelles : Sardaigne, Sicile, Malte et Chypre. Abordant la Terre sainte à Sidon (ville de l’actuel Liban) au début du mois de janvier 1617, il reste environ un mois et demi en Palestine pour visiter les Lieux saints avant de repartir de Saint Jean d’Acre à la fin du mois de février en direction de la Sicile. Là, au lieu de continuer la navigation vers Marseille, Nicolas Bénard poursuit son voyage par voie terrestre : Italie, Suisse, Allemagne, Hollande et Flandres avant de retrouver les siens à Paris le 20 septembre 1617, exactement une année après son départ.
Les adieux du pèlerin
Le mercredi vingtième jour de septembre 1616, moi Nicolas Bénard âgé de 20 ans, ou environ, natif de la ville de Paris, désirant exécuter le dessein et résolution chrétienne pour accomplir le vœu que j’avais dès longtemps fait de faire le voyage en Jérusalem et autres lieux de la Terre sainte, et après avoir mis en ordre et préparé ce qu’il convenait pour y parvenir, ayant pour ce sujet heureusement trouvé compagnie d’un nommé le sieur Francisque Fournequy, chrétien et natif de Constantinople lequel était venu pour obtenir des lettres de provision du roi pour les qualités d’interprète des langues turquesque et arabesque près les ambassadeurs de France en ladite ville de Constantinople au lieu de feu son père, ce qu’il obtint, nous fîmes marché au cocher qui va de Paris à Lyon, à raison de vingt livres pour chacun qui est le prix ordinaire pour le louage du coche seulement, dans lequel et avec Messieurs les députés de Marseille lors au nombre de quatre qui s’en retournaient, nous partîmes de Paris sur les deux heures après midi dudit jour.
Et pour me gratifier et m’honorer, plusieurs de mes amis, familiers et voisins de mes parents me vinrent conduire jusques hors la porte Saint-Marcel et après les avoir tous l’un après l’autre remerciés de la bonne amitié qu’ils me portaient, je pris congé d’eux avec un adieu plein de regrets de quitter la patrie et mes parents, et d’autre part fort aise de me voir en la liberté de pouvoir accomplir mon vœu et dessein, et ce fait le cocher nous rendit au gîte à Juvisy distant environ de cinq lieues de Paris.
Lettres de recommandation
Avant son départ, le jeune homme se munit de précieuses lettres de recommandation auprès des autorités civiles et religieuses.
À tous nos lieutenants généraux, gouverneurs de nos provinces, colonels, capitaines, chefs et conducteurs de nos gens de guerre, tant de cheval que de pied, de quelque langue et nation qu’ils soient, baillis, sénéchaux, prévôts, juges ou leurs lieutenants, maires, consuls, capitoux, jurates et échevins de nos villes, capitaines et gardes des portes d’icelles, châteaux, forteresses, ponts, ports, péages et détroits, et à tous autres nos justiciers, officiers et sujets qu’il appartiendra, salut.
Ayant permis à notre cher et bien-aimé Nicolas Bénard, natif de cette notre bonne ville de Paris, d’aller en dévotion à Rome, Notre-Dame de Lorette et en la Terre sainte, visiter le Saint-Sépulcre, voir l’Égypte, Constantinople et autres pays du Levant. À cette cause, nous voulons, vous mandons, et très expressément enjoignons que vous ayez à le laisser passer sûrement et librement, séjourner et retourner par chacun de vos pouvoirs et juridictions, sans lui faire ni souffrir qu’il lui soit fait, mis ou donné aucun trouble, arrêt ou empêchement, mais toute aide, faveur ou assistance dont il aura besoin : car tel est notre plaisir.
Prions et requérons tous princes, potentats, états, républiques et communautés nos voisins, alliés et confédérés, leurs sujets et officiers, ne permettre ou souffrir qu’il lui soit fait aucun tort et empêchement en l’effet ci-dessus, mais contraire donner audit Bernard tout secours, faveur et assistance dont il aura besoin et les en requerra, offrant faire le semblable à ceux de leurs sujets, quand l’occasion s’en présentera.
Donné à Paris le onzième jour de juin, l’an 1616, signé LOVYS.
Et plus bas, par le Roy, de Loménie, et scellé en placard de cire rouge.
Aux très révérends Pères en Notre Seigneur Jésus-Christ, de l’ordre de saint François, le vicaire général du Saint-Siège apostolique, frères et gardiens du très Saint-Sépulcre de Notre Seigneur en Jérusalem et autres lieux de la Terre sainte.
La vénérable société et compagnie des chevaliers du Saint-Sépulcre de Notre Seigneur et voyagers de la Terre sainte, instituée à Paris, salut éternel en notre Seigneur.
Il a plu à notre Dieu très bon et très puissant que nous voyagers de Jérusalem comme confrères assemblés en cette très célèbre ville de Paris, ayons avisé de restituer, rétablir et conserver l’ancienne institution de cette première société commencée par le très illustre et très chrétien roi de France saint Louis dès l’an de grâce 1254. Et pour la conservation de cette notre confrérie, nous avons avisé surtout que nul ayant pris faussement le nom de pèlerin et voyageur puisse être admis en notre société et confrérie, non seulement pour cette considération, mais aussi afin que celui qui voudra faire le voyage n’aille sans avoir et porter cette attestation véritable aux Églises et Saint-Sépulcre de Jérusalem, laquelle recommandation ayant prise par écrit de nous, pour témoignage qu’il est bon catholique, il puisse heureusement accomplir son pèlerinage et qu’à son retour il soit aussi enregistré comme confrère de notre confrérie.
C’est pourquoi nous vous prions affectueusement (Révérend Père Vicaire) qu’ayant vu le sceau de notre congrégation, par lequel nous vous certifions et témoignons le voyage du porteur, ainsi qu’il vous plaise le renvoyer vers nous avec votre certification écrite et scellée au pied de la présente, et en cette même condition, nous souhaitons et désirons que Nicolas Bénard, jeune homme du diocèse de Paris, et y demeurant, lequel nous connaissons être bon catholique et dévot en Notre Seigneur Jésus-Christ, ainsi que le témoignons par les présentes lettres munies de notre sceau pour lui servir de certificat, puisse faire son voyage, et vous prions par charité chrétienne que comme ledit Bénard est fidèle sujet du très chrétien roi de France et fort affectionné et dévot de notre société reconnue première par tout le monde, il vous soit très recommandé en toutes sortes de bons offices comme compagnon et confrère de notre société, et s’il advient (qu’à Dieu ne plaise) qu’il décède en chemin, il soit par vous reçu et tenu pour chevalier et voyageur de Jérusalem au nom de Jésus-Christ notre chef, afin qu’au jour du jugement, les pèlerins reçus et traités au nom de Notre Seigneur et les hôtes d’iceux, et nous, puissions ensemble recevoir la récompense de la vie éternelle.
Donné à Paris au couvent des Cordeliers, l’an de grâce 1616, au mois de juillet.
Signé de douze anciens tant chevaliers que voyagers de Jérusalem.
Henry de Condy, par la grâce de Dieu et du Saint Siège apostolique évêque de Paris.
À tous fidèles chrétiens qui ces présentes verront en Notre Seigneur, salut.
Savoir faisons comme ainsi soit que notre cher et aimé Nicolas Bénard, honnête jeune homme de la paroisse de Saint-Germain de l’Auxerrois à Paris nous avait exposé et fait entendre qu’il avait intention et un saint désir d’aller en Jérusalem moyennant la grâce de Dieu, pour y visiter par dévotion et piété chrétienne le saint-Sépulcre de Notre Seigneur Jésus-Christ, et les autres saints lieux de Bethléem et de la Terre sainte.
À cette cause, il nous avait humblement requis et supplié lui vouloir bailler lettres testimoniales pour certification de la foi et religion catholique, ensemble de la probité de sa vie et mœurs. Nous désirant satisfaire à ses vœux et humbles prières, lui avons octroyé ces présentes, par lesquelles nous attestons et certifions à tous qu’il appartiendra que ledit Nicolas Bénard est bon catholique et de bonne vie et qu’il n’est infecté d’aucune opinion d’hérésie ni lié d’aucune excommunication qui le puisse empêcher d’être reçu et administré des saints sacrements de l’Église ainsi qu’il nous est apparu par le témoignage de plusieurs hommes dignes de foi et autrement légitimement.
C’est pourquoi nous le recommandons à tous et chacuns les très révérends seigneurs archevêques, évêques et à tous autres prélats et curés des églises et à leurs vicaires et lieutenants, ensemble à tous illustres seigneurs de quelques villes, bourgs, lieux et passages et aux gouverneurs, magistrats, états, républiques et communautés, que ce soit en quelque lieu que son chemin s’adonnera et qu’il aura désir de passer. Nous les prions et requérons affectueusement en Notre Seigneur Dieu lui être accordé et permis sûr accès et passage libre tant en allant qu’en retournant, ou faisant séjour et demeure en quelque lieu de leur seigneurie et obéissance, lui donnant confort et aide en ce qu’il requerra, promettant en pareil cas de faire le semblable et plus.
Donné à Paris sous le sceau de notre chambre, l’an de grâce 1616, le dix-septième jour du mois de septembre.
Par le commandement de mondit seigneur le révérendissime évêque de Paris, ainsi signé Le Gay pour l’absence du secrétaire, scellée en placard de cire rouge.
La cité de Bethléem
Nous entrâmes dans la cité de Bethléem, cité jadis tant recommandée en l’Écriture sainte, et autrement nommée Bethléem Ephrata cité de Juda, laquelle est située sur une colline, n’y ayant pas beaucoup de maisons mais plusieurs cavernes où se retirent quelques chrétiens, Grecs et Mores pauvres gens, qui ne vivent que des aumônes des pèlerins, auxquels ils vendent des croix de bois de térébinthe ou de bois d’olivier et autres petits ouvrages délicatement faits, et aucuns d’eux impriment très dextrement sur les bras et sans faire grand mal les croix ou armoiries de Jérusalem, ce qui peut servir à ceux qui vont plus avant par les déserts de la Turquie et Arabie, d’autant que les Arabes, Turcs et Mores leur voyant cette marque ne les tiennent pas esclaves.
Il ne reste rien de cette cité de son ancien lustre et splendeur que des ruines et masures qui montrent qu’elle a été assez belle et grande : elle s’étend en long sur cette montagnette du côté de l’Orient tirant à l’Occident, en icelle est né saint Matthieu apôtre, une partie des Innocents y fut tuée par le commandement d’Hérode, croyant par ce moyen faire mourir le petit enfant Jésus-Christ, et de là nous allâmes droit au monastère ou couvent des Cordeliers qui est au même endroit où Notre Seigneur naquit.
L’adieu à la Jérusalem terrestre
Adieu donc, ô désolée, captive et ruinée sainte cité de Jérusalem ! C’est à mon grand regret que je te quitte et que je ne verrai jamais de mes yeux corporels les ruines de tes superbes édifices et bâtiments, et principalement les saints lieux enclos dans ton sein, que tu es à présent indigne de posséder en l’état que tu es profanée, priant Dieu qu’il suscite quelques rois et princes chrétiens, lesquels imitant les vertus héroïques et la pieuse dévotion du vaillant Godefroi de Bouillon jadis en l’an 1099, ils te puissent aussi de même délivrer de la tyrannique servitude et domination du Turc et remettre en leur première splendeur les saints lieux à présent tous profanés et pollués par ces impies et fidèles Mahométans.
Je ne puis assez exprimer mes regrets par paroles sinon que restant muet tu dois connaître quelle est ma douleur. Je prie Dieu seulement de tout mon cœur qu’il lui plaise de me faire la grâce que je sois un jour participant de la céleste Jérusalem aussi heureusement comme j’ai laborieusement et avec mille périls et fatigues visité la figure d’icelle.
Ayant ainsi demeuré quelque espace de temps en silence, pensées, méditations et regrets, notre chemin s’avançait en laissant derrière nous ce que j’eusse toujours bien désiré de voir devant mes yeux en la sainte cité. Et continuant petit à petit sur nos montures assez pesantes et lentes, nous descendîmes la vallée de Térébinthe, et étant parvenus au haut de la montagne qui suit, vîmes la maison de Jérémie, et plus avant le château du bon larron et autres lieux ci-devant mentionnés, et ainsi arrivâmes le soir sans danger avec nos conduites en la ville de Rama, et y séjournâmes tout le sixième jour pour mettre ordre à nos affaires.
Le retour du pèlerin à Paris
Le vingtième jour dudit mois de septembre 1617, avant que de partir de la ville de Senlis, nous allâmes, deux marchands flamands et moi ouïr la messe en la grande église de Notre-Dame. [...] Et sans autrement nous arrêter par la ville qui est assez belle, bien bâtie et marchande, nous partîmes de ladite ville sur les neuf heures et vînmes dîner à Louvres en Parisis, et tout à l’aise arrivâmes sur les quatre heures après midi à Paris par la porte Saint-Martin, et de là descendre à l’hôtellerie des Quatre fils Aymond, rue Saint-Denis où logeaient les coches de Bruxelles et d’autres villes des Pays-Bas.
Et quelque temps après que chacun de nous eût retiré ses hardes et paquets, ayant pour mon regard contenté le cocher et pris congé de la compagnie qui étaient riches marchands de Bruxelles, la première chose, ainsi que mon intention et mon devoir m’y obligeaient, fut d’aller droit à l’église du Sépulcre en la même rue Saint-Denis rendre grâces à Dieu de ce qu’il lui avait plu de me préserver de maladie et de tous périls, pendant un an entier de mon voyage en Jérusalem et autres lieux de la Terre sainte, tant en allant par divers pays, villes et provinces, îles et autres lieux et endroits, qu’en faisant mon retour par autres lieux et passages, tant par mer que par terre, suivant les journées et séjours que j’ai pu faire en voyageant, ainsi qu’il est amplement rédigé par ordre et contenu aux trois livres ci-dessus réduits en un seul volume.
Et ayant fait mes prières et dévotions en ladite église où il y a depuis longtemps une confrérie et un hôpital fondé pour les pèlerins en l’honneur et commémoration du Saint-Sépulcre en Jérusalem, je m’en retournai au logis de mes parents qui furent aussi joyeux de mon retour que moi d’autre part content et très aise de les trouver en bonne disposition et prospérité.
Voilà l’ordre véritable de mon voyage commencé le mercredi vingtième jour de septembre 1616 et mon retour à Paris échu à semblable jour mercredi vingtième septembre 1617. Ce que le lecteur ne doit pas trouver impossible puisqu’il est ainsi advenu en mon endroit et qu’un autre faisant le même voyage pourra faire et témoigner, usant de l’ordre et diligence que j’y ai tenu, ce qui n’a pas été sans grandes fatigues, soins, vigilance et dépenses avec toutes sortes d’incommodités et périls qui ne manquent jamais de servir d’escorte à ceux qui voyagent en lointains pays, principalement hors la Chrétienté.
Nicolas Bénard - Le voyage de Hierusalem et autres lieux de Terre sainte
Texte complet disponible sur le site de la BNF :
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