Famille chrétienne
Marche à crédit - François-Xavier de Villemagne
Ce banquier a quitté son job et ses costumes pour marcher vers Jérusalem. Il vient d’en tirer un très beau récit de voyage.
L’habit ne fait pas le moine, mais il fait le banquier. Pour preuve, détourons François-Xavier de Villemagne, 40 ans et transposons ce cadre en costume gris, cravate Dunhill et chaussures Weston, raie bien à droite et mèche bien à gauche, sur l’une des routes poudreuses qu’il emprunta au cours de sa marche de huit mois et six mille quatre cent kilomètres vers Jérusalem on sourit. Même surprise si l’on réintègre ce diplômé de Ponts, des pas et des chaussées, en bermuda et casquette, godillots et sac à dos, peau sur les os, nez hâlé, sous la coupole hautaine du siège haussmannien de la banque qui l’emploie, près de l’Opéra, à Paris.
Pourtant, c’est le même homme. Un aristocrate de l’espèce des homo peregrini cum pedibus jambis, dont l’évolution est en marche. Von Villemagne, comme des religieuses le surnommèrent en Bavière, est doué d’une volonté farouche sous des airs sages de premier de la classe. Celle-là lui fera, par exemple, parcourir mille kilomètres avec une tendinite au genou qui aurait dû l’aliter pour trois semaines.
Rien du baroudeur jobard. Le garçon discret raconte, à voix posée, les mains croisées, comment la route l’a pris, comme un lavement. "Entre le ’si j’allais à Jérusalem à pied’ et le jour du départ, trois mois seulement, et pas d’entraînement." Mais pourquoi, alors que tout va ? Pourquoi ce cadre performant, à la vie réglée comme du papier à musique - il est aussi chanteur lyrique et violoniste - est-il parti comme un voleur ? "Parce que je n’étais pas heureux." On s’attendait à une réponse convenue, et l’on entend "l’amertume d’avoir engagé ma vie dans des impasses, un cœur en miettes, des incertitudes, le besoin de réveiller ma Foi, et l’envie de briser l’image flatteuse qu’on me renvoyait de moi-même"
Mais le risque d’un tel périple n’est-il pas de dilater l’ego, insidieusement ? "Oui. Mais j’ai pris de bonnes claques. Et l’humilité m’est rentrée à coups de marteau." Un coup surtout. Un coup de maître (un coup du Maître ?). Juste avant l’arrivée. Le fier obstiné s’était juré de tout faire à pied, rien qu’à pied ? Les Israéliens l’obligent à franchir la frontière en bus. Cassé ! "Ça a brisé mon ressort. J’ai failli arrêter là." Chez les bénédictins de Tabgha, l’errant dépité découvre les fioretti de saint François. L’humilité du Poverello panse son amour-propre. "C’est ce qui a sauvé mon voyage de l’orgueil."
Alors, heureux ? "Je crains d’être encore trop exigeant des choses et des autres. Mais j’ai appris à recevoir", répond "le jeune homme riche", comme il se surnomme, qui fait fructifier ses talents et "l’argent de ceux qui en ont déjà".
"Pendant huit mois, j’ai progressé comme un voilier vent debout, ajoute le piéton au pied marin (il est rentré en cargo) : c’est inconfortable, rude, mais on trouve un équilibre dans la lutte. J’ai retrouvé une vie où le vent souffle à l’arrière. C’est une allure apparemment facile, mais perfide, en réalité, et traîtresse. Disons que j’ai acquis une petite expérience en me frottant à l’adversité."
Aucun regret, quatre ans après ? "Oh, non ! Ce fut la bonne action au bon moment". Le bon placement en temps de crise. La pause-déjeuner est achevée. François-Xavier disparaît à pas pressés. Sur ses conseils, on parcourt une lettre de Grégoire de Nysse, du IVe siècle, par laquelle ce curieux pèlerin clôt son bouquin : « Vous donc qui craignez le Seigneur, louez-Le dans les lieux où vous êtes. Un changement de lieu ne procure aucun rapprochement avec Dieu, mais où que tu sois, Dieu viendra vers toi » L’énigmatique spécialiste des fonds privés fait aussi fructifier l’humour.
Luc Adrian
Famille chrétienne N°1360 - 7 février 2004
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