Les côtes de France
Supplément n°2 : l’arrivée sur les côtes de France lors du retour en cargo. (Ce texte ne figure pas dans le livre Pèlerin d’Orient.)
Ouessant.
Deux éclats blancs toutes les dix secondes.
Derrière l’horizon incertain et encombré de nuages, le phare du Créac’h fait jaillir de fugitifs halos blanchâtres qui apparaissent au gré de la longue houle de l’Atlantique.
Barre au 037°. À 150 mètres de la passerelle plongée dans une lumière sourde, l’étrave s’ébroue au milieu des vagues. Filant 18 nœuds, le « City of Haïfa » se rapproche rapidement des côtes de France. Le Créac’h domine désormais l’horizon et balaie le ciel de son pinceau puissant et régulier.
Deux éclats toutes les dix secondes.
Toute la force d’attraction de la terre natale.
Cela avait commencé une demi-heure auparavant, vers trois heures du matin. Dans la VHF, une voix française crachotait. Rugueuse et sévère. Une voix burinée par les tempêtes de la Mer d’Iroise. La première voix de la terre de France, un pays quitté il y a neuf mois.
Accoudé à la lisse, je cherche à deviner les contours vagues qui se dessinent à quelques milles. Soudain, le vent de terre apporte au cœur de ses rafales de grandes bouffées d’une odeur brusquement familière. La puissante odeur de la terre.
Le Créac’h défile par le travers. Balayant toute la France du haut de son promontoire breton, le faisceau aveuglant me renvoie fugitivement dans le regard toute la richesse du sol natal avant de reprendre sa course circulaire et d’en moissonner une nouvelle brassée, sans fin, sans fin.
Avec les heures apparaissent le phare du Stiff, la Jument, le Four, Kéréon dans le lointain et le phare de l’Ile Vierge. Par une nuit de beau temps, les abords de la pointe de Bretagne ressemblent à un arbre de Noël, tout clignotant de feux multicolores.
- Ouessant Trafic, Ouessant Trafic du « City of Haïfa » ?
- Ouessant Trafic, j’écoute.
- Cargo « City of Haïfa ». Port d’embarquement : Haïfa. Port de destination : Anvers. Position 46,3° Nord 2,4° Ouest. Nous entrons dans le rail.
- Transportez-vous des cargaisons dangereuses ?
- Oui. Code H210, H215, Q025, T039...
Le chef de quart égrène sa liste énigmatique. Il aurait pu ajouter : « un passager bizarre qui vient de parcourir 6 500 kilomètres à pied.» Ouf ! Il n’a rien dit. On m’a peut-être pris pour un fou, mais du moins, pas dangereux...
Dans le petit matin blême de ce début de février, le navire s’engage dans la Manche. La marée montante ajoute quelques dixièmes de nœuds à la puissance de nos hélices. Au loin défilent les côtes françaises.
À l’arrivée d’un marathon, on termine dans un couloir pour donner son dossard dans l’ordre d’arrivée. Mon couloir, c’est cette Manche aux eaux vertes qui succède au bleu sombre de l’océan.
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