Richard Pockoke, un Anglais au Levant
En 1737, Richard Pockoke quitte l’Angleterre pour un voyage « dans des pays barbares » qui durera sept années. Il sillonne l’Europe, de la Pologne jusqu’à l’Italie et de la France jusqu’à la Hongrie, mais surtout l’Orient : Égypte, Arabie, Palestine, Syrie, Grèce, Thrace etc. Observateur qui se veut impartial, Pockoke publie une somme en sept volumes qui est comme une espèce de bibliothèque historique et géographique qui supplée seule à quantité d’ouvrages qu’on n’est pas toujours à même de se procurer. Nombreux sont ceux qui le liront avec profit : politiques, jurisconsultes, théologiens, géographes, sculpteurs,architectes, antiquaires, botanistes et amateurs d’histoire naturelle. Ses livres furent traduits en français, allemand et néerlandais.
Entre 1737 et 1738, Richard Pockoke parcourt l’Égypte, la Palestine et la Syrie et fut l’un des tous premiers explorateurs scientifiques de notre ère à avoir visité la nécropole de Saqqara. En 1741, accompagné d’un autre Anglais, William Windham, il se rend en "expédition" dans la vallée de Chamonix et sur la Mer de Glace. Le récit enthouste de leur visite, publié dans toutes les gazettes littéraires d’Europe, déclenche un véritable engouement pour Chamonix et annonce le début de l’ère touristique dans la vallée.
L’accueil des pèlerins à Jérusalem
Il convient de dire un mot de la manière dont les pèlerins sont reçus [au couvent latin]. Lorsqu’ils sont arrivés à la porte de Jérusalem, ils en donnent avis aux religieux, qui envoient leur interprète pour les conduire au monastère, où il y a un appartement pour les pèlerins européens. Ce sont les frères lais qui les servent, à moins qu’ils n’aiment mieux louer un domestique, et qui les accompagnent lorsqu’ils sortent. Lorsqu’ils sont au nombre de deux ou trois, (il est rare qu’ils soient davantage), ils font leur visite ensemble.
Lorsque j’arrivai à Jérusalem aux fêtes de Pâques, je n’y trouvai qu’un frère lai jésuite d’Alep, lequel fut suivi quelques temps après d’un Hambourgeois et d’un capitaine de vaisseau de Raguse. Les gens de qualité sont dans l’usage en partant de faire présent de six guinées au couvent ; mais pour l’ordinaire il y a quantité de catholiques orientaux qu’ils nourrissent gratis. De ce nombre sont les Maronites, les Coptes, les Grecs et les Arméniens, qui reconnaissent le Pape. Ils meublent une maison pour ceux-ci, et leur envoient les provisions dont ils ont besoin. Les pèlerins européens mangent au réfectoire avec les religieux et il y en a toujours un qui fait la lecture pendant le repas. On leur sert trois ou quatre plats et du vin excellent du cru du pays. Les jours de fête, les prêtres et les étrangers vont prendre du café dans l’appartement du Gardien.
Gardiens des Lieux saints
On traite [le Gardien] de révérendissime et lui rend les mêmes honneurs qu’à un évêque les jours qu’il officie. Le Général de l’ordre le nomme tous les trois ans, et il retourne pour l’ordinaire en Europe après que son temps est expiré. Le Pape lui donne les pleins pouvoirs et il est toujours italien, si je ne me trompe. Il y a un vicaire français qui gouverne pendant son absence. Le Procureur est toujours espagnol et son député porte tout le faix de sa charge. Ils ont aussi un secrétaire et ce sont là tous les religieux qui composent le chapitre. Ils envoient des procureurs dans toutes les contrées de l’Europe, surtout en Espagne pour recueillir les aumônes qui servent à les faire subsister. Ils ont environ dix couvents dans la Palestine et dans la Syrie, trois en Égypte, lesquels sont gouvernés par un vice-Préfet, un à Chypre et un autre à Constantinople.
Leur revenu est considérable, mais ils sont obligés de faire des présents au Gouverneur pour obtenir sa protection. La populace s’étant ameutée contre eux quelques temps avant que j’arrivasse, le Gouverneur leur promit de les protéger, à condition qu’ils soudoieraient 30 soldats de plus, ce qu’ils ont été obligés de faire jusqu’aujourd’hui. Je ne dis rien des présents que leurs couvents font tous les ans aux gens en place pour obtenir leur protection et qui se montent à des sommes considérables. Ils avaient de mon temps un Gouverneur fort honnête homme, mais il leur est souvent arrivé de ne pouvoir sortir de leur couvent sans courir le risque d’être insultés.
Le lavement des pieds
Les religieux sont dans l’usage de laver les pieds à tous les pèlerins européens, à moins que ce ne soit des gens de bas aloi, et d’une autre religion que la leur. Cette cérémonie a quelque chose de particulier : on avertit d’avance le pèlerin, et un domestique lui porte de l’eau chaude dans sa chambre, pour qu’il se lave les pieds. Cela fait, il se rend à la chapelle, un capuchon blanc sur la tête.
Le Gardien se place sur son siège, et l’on fait s’asseoir le pèlerin au bout de l’église, le visage tourné du côté du nord. Le gardien met un cordon de soie autour de son cou, s’attache une serviette autour du corps, se met à genoux devant le pèlerin sur un carreau de satin blanc, ayant à ses côtés un prêtre qui plonge les pieds du pèlerin dans un bassin rempli d’eau chaude, dans lequel on a mis à infuser des feuilles de roses séchées. Il prend d’abord le pied gauche, le lave avec les deux mains, et le baise après l’avoir essuyé ; il en fait autant du pied droit. Il pose ensuite le pied droit du pèlerin sur son genou gauche, il le lave et en couvre l’extrémité avec une serviette ; le religieux qui est à la droite du pèlerin relève ses habits avec une serviette ; au-dessus du cou-de-pied, et tous les religieux viennent l’un après l’autre baiser la main du Gardien et ensuite le cou-de-pied du pèlerin.
Il lui donne ensuite un cierge allumé ; et alors tous les religieux, à l’exception du Gardien, se rendent en procession au maître-autel avec un cierge à la main ; et le pèlerin qui les suit s’étant mis à genoux, ils chantent une antienne, accompagnés de l’orgue et de huit enfants de chœur. Ils se rendent de là à deux autres autels, d’où étant retournés au premier, on donne de l’encens au pèlerin ; ils se rendent enfin au bas de l’église où le pèlerin éteint son cierge, ensuite de quoi on chante les Litanies.
Le souper venu, on régale le pèlerin d’un plat de plus, qu’il partage avec le Gardien, mais avec cette différence qu’on le sert le premier. Lorsqu’un pèlerin part, on a coutume de réciter une prière ; mais je crois que cela ne se pratique que pour ceux qui sont de la même communion.
Le feu sacré
Le premier d’avril, qui est le vendredi saint des Grecs, ils descendirent le soir Notre-Seigneur de la croix, et un peu après minuit ils commencèrent quelques autres cérémonies d’une manière aussi tumultueuse qu’indécente. Ils enveloppent un home dans un drap, et leur portent sur leurs épaules trois fois autour du sépulcre, parmi les cris d’une foule de peuple qui les suivait. Ils furent ensuite le poser à la première porte du Sépulcre, où après lui avoir fait plusieurs niches, il se leva pour leur montrer qu’il était ressuscité.
Il y en avait d’autres qu l’on portait de la même manière, avec cette différence qu’ils n’étaient point couverts. Un autre se promenait autour du Sépulcre avec un homme debout sur ses épaules, qui parlait aux assistants, et leur faisait différents signes. Les enfants, pour se conformer à leur exemple, sautaient sur les épaules de leurs camarades, les renversaient par terre, s’arrachaient le bonnet, pendant que quantité de paysans couraient autour du Sépulcre, de manière qu’on les eût pris pour une troupe de bacchantes, plutôt que pour des chrétiens.
Les Turcs et même le Gouverneur de Jérusalem, vinrent, comme c’est la coutume, pour voir la cérémonie du feu sacré. Le tumulte cessa dès qu’on les vit paraître. Les Latins disent que dans les premiers siècles, le feu descendait du ciel la veille de Pâques dans le Saint-Sépulcre, et allumait toutes les lampes qui y sont. Le miracle ayant cessé vers le cinquième ou sixième siècle, les catholiques écrivirent au pape, lequel répondit que, puisqu’il ne plaisait point à Dieu de le continuer, ils ne devaient point en imposer au peuple ; que depuis ce temps-là ; les Grecs ont prétendu être en possession du miracle, et se sont efforcé de le persuader au public.
Après qu’on eût allumé les cierges qui étaient dans l’église, quantité de jeunes gens coururent comme des forcenés vers le Sépulcre, ayant chacun une bannière à la main. Le Gardien du couvent, accompagné de ses religieux, porta dans le Sépulcre une grosse lampe de verre qui n’était point allumée. La procession commença, sur quoi les assistants firent de grandes huées. Les prêtres, suivis de leurs évêques, firent trois fois le tour du Saint-Sépulcre. L’évêque y entra le premier. L’évêque arménien, qui était vieux et infirme, voulut le suivre, mais on eut beaucoup de peine à le laisser entrer, et je crois même qu’il resta en-dedans de la première porte, n’étant pas permis aux Arméniens de pénétrer dans le secret de cette cérémonie. Les évêques coptes et syriens se présentèrent à leur tour ; mais on leur refusa la porte. Elle était gardée par des Turcs, qui exigeaient de l’argent de tous ceux qui voulaient s’approcher, pour allumer les premiers leurs flambeaux. Ils étaient armés de fouets et de bâtons, avec lesquels ils frappaient la populace, sans distinction d’âge ni de dignité.
Au bout d’environ un demi-quart d’heure, on ouvrit la porte du Sépulcre ; on vit alors quantité de bougies en l’air, et chacun s’empressa d’allumer la sienne le premier. Il y avait des jeunes qui en avaient vingt ou trente à la main, et qui avançaient leurs bras nus pour jouir les premiers de cette prérogative. Pour empêcher le tumulte, il y avait deux personnes préposées pour allumer les flambeaux qu’on leur présentait. Quelques-uns de ceux qui avaient le feu sacré, se voyaient pressés par la foule, et à la veille d’être étouffés, ne trouvèrent point d’autre expédient que celui de se faire jour à coups de flambeaux : les visages ne furent point épargnés ; mais personne ne bougeait de sa place, les Grecs étant persuadés que ce feu ne brûle point la barbe. Les Grecs et les Arméniens eurent toutes les peines du monde à sortir du Sépulcre. Tous les flambeaux furent enfin allumés, et l’église fut remplie dans un instant d’une fumée épouvantable.
On prétend que les Grecs n’en agissent ainsi que pour attirer le plus de pèlerins qu’ils peuvent à Jérusalem ; ce n’est que le feu sacré qui les amène, il n’en viendrait pas dix s’il n’y en avait point. ; de sorte que leurs affaires seraient ruinées en peu de temps.
[C’est pour l’ordinaire un marchand arménien ou syrien qui se charge d’avoir le feu sacré de la première main. Il entre dans l’appartement intérieur, et allume le premier son flambeau à la lampe de l’évêque. Un Arménien qui venait de Perse donna 3 000 sequins pour avoir le premier feu. Les revenus se partagent entre les quatre couvents, et par conséquent on ne doit pas être surpris qu’il mettent tout en œuvre pour entretenir la superstition du peuple.]
Richard Pockoke - Voyages
Texte complet disponible sur le site de la BNF :
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