La Jérusalem délivrée
La Jérusalem délivrée est un poème épique en vingt chants composé à la fin du XVIe siècle par Le Tasse (1544-1595) et qui raconte la fin de la première croisade emmenée par Godefroi de Bouillon, ainsi que la reconquête de la ville sainte face aux troupes conduites par Soliman et Argante.
Dans cette épopée homérique qui emprunte tant à l’histoire qu’aux chansons de geste et au merveilleux, se mêlent les récits de combats, l’histoire d’amour du chrétien Tancrède pour la païenne Clorinde, qu’il finira par tuer en duel, celle de la fragile et craintive Herminie pour Tancrède, et l’histoire du chevalier Renaud, retenu par la magicienne Armide, qui finira par se convertir par amour de son prisonnier, mais en vain.
L’arrivée devant Jérusalem
S’était levée la brise messagèrePour annoncer que l’aurore s’en vient,
Et celle-ci se pare, et se fleurit
Le chef doré de roses paradises,
Lorsque le camp, s’appareillant aux armes,
Bruissait déjà d’une grande rumeur,
Anticipant les trompes, qui lors lancent
Leur appel éclatant, plein d’espérance.
De son doux mors, le sage capitaine
Modère et suit leurs impatients désirs :
Dévier le cours des ondes volubiles
Près de Charybde il serait plus aisé,
Freiner Borée quand il secoue l’échine
De l’Apennin et engloutit les nefs.
Il commande, et les guide et fait marcher
D’un pas rapide, oui, mais mesuré.
Ils ont des ailes, tous, au cœur, aux pieds,
Et nul ne s’aperçoit qu’il va, véloce,
Mais, quand le soleil fiert les champs arides
De rais fervents et s’élève dans l’air,
Voici soudain Jérusalem paraître,
Voici Jérusalem : les doigts se tendent,
Voici qu’on ouït par mille voix unies
Jérusalem saluée d’un seul cri.
Ainsi des navigants audacieux
Qui vont cherchant d’insolites rivages,
En mer douteuse et sous des nouveaux cieux,
Affrontent l’air perfide et l’eau traîtresse,
S’ils découvrent enfin le sol rêvé,
Au lointain le salent d’un cri joyeux ;
On se le montre, on oublie cependant
L’ennui du long chemin et les tourments.
Mais au plaisir de la prime vision,
Qui doucement emplit le cœur de tous,
Suivit contrition grande, entremêlée
De sentiments de crainte et révérence.
Ore à peine s’ils osent lever l’œil
Vers la Cité, séjour choisi de Christ,
Où il mourut et fut enseveli,
Et puis ses propres membres revêtit.
Humbles accents et propos étouffés,
Larmes, sanglots, soupirs pleins de faiblesse
De ce peuple qui pleure et s’éjouït
Font circuler dans l’air un seul murmure,
Ainsi qu’on l’oit dans les profondes sylves
S’il advient que le vent souffle en les frondes,
Ou qu’entre les récifs, près des rivages,
Siffle la mer en un rauque tapage.
Traduction de Michel Orcel - Ed. Gallimard
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