Fous rires dans le désert syrien
« Une heure avant le couchant, je choisis ce groupe de maisons à un kilomètre de la voie ferrée. À peine une quinzaine d’habitations. Rien de plus consistant jusqu’à l’horizon alors que le soleil descend rapidement. Je dois absolument dormir là. Quoi qu’il arrive. Un Bédouin entre deux âges rentre chez lui à vélomoteur. Je tente ma chance. En anglais, en français. Surtout avec les mains. Il ne parle que l’arabe et je n’en connais que des bribes. La "conversation" se prolonge. Finalement, Mehmed m’emmène chez lui. Dans ce désert, je ne lui laissais sans doute guère d’autre choix
Commence alors une des soirées les plus étranges et les plus agréables de tout mon périple. Bien que nous n’ayons aucune langue en commun, je parviens à décrire l’essentiel de mon aventure. Tous les hommes du hameau défilent dans l’unique pièce nue aux murs de parpaings. Des nattes et tapis élimés couvrent une portion du sol en ciment. Je recommence mes explications, déplie mes cartes, baratine sans vergogne en français : lorsqu’on y adjoint un peu de gestes et beaucoup de conviction, une bonne partie du propos franchit la barrière de la langue. Mehmed en rajoute, très fier d’exhiber un tel invité. Les femmes sont ailleurs. Tout juste dignes de préparer le repas, d’apporter les plats et de se charger à nouveau de ma lessive. [...]
Plusieurs hommes viennent d’entrer et mon hôte recommence les présentations. Sur sa paume, il dessine d’une main malhabile quatre lettres latines : "MHMD". Transposant la quasi-absence de voyelles dans l’écriture arabe, il m’écrit ainsi son nom. Quatre autres MHMD figurent dans la dizaine d’hommes qui composent ma cour de ce soir. Avec eux, la soirée se prolonge et je commence à manquer d’imagination pour la meubler lorsque j’ai soudain une idée de génie : j’exhibe ma méthode Assimil d’arabe. En vis-à-vis, les mêmes phrases dans les deux langues. Mahmoud, l’un des quatre MHMD, plutôt jovial et bien enveloppé, se pique d’intérêt pour le livre qu’il parcourt avec attention. À chaque fois qu’il identifie une formule adaptée à la situation, il me la montre et j’en regarde la traduction sur la page d’en face. La méthode voulant répondre aux besoins pratiques d’un touriste occidental à l’étranger, Mahmoud m’exhibe avec délectation des phrases comme :
"La climatisation n’est-elle pas trop fraîche ?"
"Y a-t-il un bon restaurant dans les environs ?"
Ou bien encore :
"Ce lit n’est pas confortable du tout. J’exige de voir le gérant de cet hôtel immédiatement !"
Dans la pauvre pièce unique d’un lointain hameau du désert syrien, Mahmoud et moi piquons des fous rires inextinguibles. »
cf le livre Pèlerin d’Orient p. 210-212
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