Al-Idrîsî
Al-Idrîsî, Arabe originaire d’Espagne et vivant à la cour cosmopolite du roi normand Roger II de Sicile, écrit en 1154 une Géographie ou Livre du roi Roger. Savant de l’époque des croisades, musulman au service d’un grand seigneur chrétien, Al-Idrîsî est le témoin de la rencontre et de l’affrontement de deux cultures. Son oeuvre illustre ce destin : largement copiée en arabe, elle fut la seule géographie arabe à pénétrer l’Occident, bien que tardivement, à la Renaissance.
Outre la compilation des connaissances déjà pratiquées par ses prédécesseurs, Al-Idrîsî invente des méthodes nouvelles d’enquête, fondées sur le témoignage. Il confronte les récits, recoupe les informations et quand elles se contredisent, il n’en tient aucun compte. Grâce à ses 15 années de travail, l’Europe apparaît pour la première fois sur une carte arabe. Mais dans une position excentrée, avec des contours mal précisés : le centre du monde est quelque part entre Bagdad et La Mecque...
Al-Idrîsî commente ses cartes en suivant des itinéraires, comme un véritable guide. Il livre des informations de toute nature, géographiques bien sûr, mais également économiques et commerciales, historiques et religieuses.
La ville de Jérusalem
Jérusalem est une ville illustre, de construction immémoriale et éternelle. Elle porta le nom d’Îliyâ’. Située sur une montagne accessible de tous les côtés, elle est allongée et s’étend de l’ouest à l’est. À l’occident se trouve la porte dite du Mihrâb ; elle est dominée par la coupole de David (sur qui soit le salut !) ; à l’orient, la porte dite de la Miséricorde (bâb al-Rahma) qui est ordinairement fermée et ne s’ouvre que lors de la fête des rameaux ; au sud, la porte de Sion (Sihyûn) ; au nord, la porte dite d’Amûd al-Ghurâb. En partant de la porte occidentale ou d’al-Mihrâb, on se dirige vers l’est par une rue et l’on parvient à la grande église dite de la Résurrection, et que les musulmans appellent Qumâma. Cette église est l’objet du pèlerinage de tout l’Empire grec d’Orient et d’Occident. On y entre par la porte occidentale et l’on parvient directement sous le dôme qui couvre toute l’église et qui est l’une de s choses les plus remarquables du monde.
Le Saint-Sépulcre
Après être descendu dans l’église, le spectateur trouve le très vénéré Saint-Sépulcre ayant deux portes et surmonté d’une coupole d’une construction très solide, très bien construite et d’une décoration exceptionnelle ; de ces deux portes, l’une fait face, du côté du nord, à la porte de Santa-Maria, l’autre fait face au sud et se nomme porte de la Crucifixion : c’est de ce côté qu’est le clocher de l’église, clocher vis-à-vis duquel se trouve, vers l’orient, une (autre) église considérable, immense, où les Francs chrétiens célèbrent la messe et communient. À l’orient de cette église, et un peu au sud, on parvient à la prison où le seigneur Messie fut détenu et au lieu où il fut crucifié. La grande coupole (de l’église de la Résurrection) est circulairement percée à ciel ouvert et on y voit tout autour et intérieurement des peintures représentant les prophètes, le seigneur Messie, sainte Marie sa mère et saint Jean-Baptiste. Parmi les lampes qui sont suspendues au-dessus du Saint-Sépulcre, on en distingue trois qui sont en or et qui sont placées au-dessus de la tombe.
La mosquée al-Aqsâ transformée en église
Si vous sortez de l’église principale en vous dirigeant vers l’orient, vous rencontrerez la sainte demeure qui fut bâtie par Salomon, fils de David - sur lui le salut ! - et qui fut un lieu de prière et de pèlerinage du temps de la puissance des juifs. Ce temple leur fut ensuite ravi et ils en furent chassés. À l’époque où arrivèrent les musulmans, il fut de nouveau vénéré et c’est maintenant la grande mosquée connue par les musulmans sous le nom de mosquée al-Aqsâ. Il n’en existe pas au monde qui l’égale en grandeur, si l’on en excepte toutefois la grande mosquée de la capitale de l’Andalousie (dyâr al-Andalus) ; car, d’après ce qu’on rapporte, le toit de cette mosquée est plus grand que celui de la Mosquée al-Aqsâ. L’aire de cette dernière forme un parallélogramme dont la hauteur est de deux cents brasses, et la base de cent quatre-vingts. La moitié de cet espace, celle qui est voisine du Mihrâb, est couverte de dômes en pierre soutenu par plusieurs rangs de colonnes ; l’autre est à ciel ouvert.
Au centre de l’édifice, il y a un grand dôme connu sous le nom de Dôme du Rocher ; il fut orné d’incrustations d’or et d’autres beaux ouvrages, par les soins de divers califes musulmans. Au centre se trouve un rocher tombé (du ciel) de forme quadrangulaire comme un bouclier ; au centre du dôme, l’une de ses extrémités s’élève au-dessus du sol de la hauteur d’une demi-toise ou environ, l’autre est au niveau du sol ; elle est à peu près cubique, et sa largeur égale à peu près sa longueur, c’est-à-dire près de dix coudées. Au pied et à l’intérieur il y a une caverne, comme une cellule obscure, de dix coudées de long sur cinq de large, et dont la hauteur est de plus d’une toise ; on n’y pénètre qu’à la clarté des flambeaux. Le dôme est percé de quatre portes ; en face de celle qui est à l’occident, on voit l’autel sur lequel les enfants d’Israël offraient leurs sacrifices ; près de la porte orientale, l’on voit l’église nommée le Saint des Saints, d’une construction élégante. Au sud se trouve le bâtiment voûté qui était à l’usage des musulmans ; mais les chrétiens s’en sont emparés de vive force et il est resté en leur pouvoir jusqu’à l’époque de la composition du présent ouvrage. Ils en ont fait des logements où résident des religieux de l’ordre des templiers, c’est-à-dire des serviteurs de la maison de Dieu. Enfin la porte septentrionale est située vis-à-vis d’un jardin bien planté de diverses espèces d’arbres et entouré de colonnades de marbre sculptées avec beaucoup d’art. Au bout du jardin se trouve un réfectoire pour les prêtres et pour ceux qui se destinent à entrer dans les ordres.
Al-Idrîsî - Nuzhat al-mushtaq fî ikhtirâq al-âfâq
encore appelé Livre de Roger. Sicile, 1154
Une très belle exposition en ligne a été réalisée par la BNF : al-Idrîsî, la Méditerranée au XIIe siècle
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