Luther et le pèlerinage
Pour Luther (1483-1546), seule la foi peut sauver l’homme, et non pas ses œuvres, aussi bonnes soient-elles. Le pèlerinage ne peut alors être un moyen de sanctification et de justification, tel que le vécurent des foules de pèlerins durant tout le Moyen Âge. D’autant moins lorsqu’il est le prétexte à des abus, soit de la part de l’Église, soit à cause des superstitions dont il s’est peu à peu entouré. En réalité, Luther condamne moins le pèlerinage en lui-même, que l’esprit dans lequel il est souvent accompli. Une mise en garde qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs celles des Pères de l’Église, de saint Jérôme ou de saint Grégoire de Nysse.
La vraie Jérusalem
Heureusement, il y a encore des gens pieux parmi la noblesse. La plupart des nobles sont aujourd’hui si insolents et si dépravés, qu’ils excitent la colère du pauvre homme. S’ils voulaient être respectés, ils devraient avant tout respecter eux-mêmes Dieu et sa Parole. Qu’ils continuent à vivre ainsi dans l’orgueil, dans l’insolence, dans le mépris de toute vertu, et ils ne seront bientôt plus que des paysans ; ils le sont déjà quoiqu’ils portent encore le nom de nobles et le chapeau à plumes. Ils devraient cependant se souvenir de Münzer.
Je souhaite, honoré seigneur [=Jean de Hernberg], que ce petit livre, et d’autres qui lui ressemblent, touchent votre coeur, et que vous y fassiez un pèlerinage plus utile au salut que celui que vous avez fait autrefois à Jérusalem. Non que je méprise ces pèlerinages ; j’en ferais moi-même bien volontiers, si je pouvais, et j’aime toujours à en entendre parler ; mais je veux dire que nous ne les faisions pas dans un bon esprit. Quand j’allai à Rome, je courus comme un fou à travers toutes les églises, tous les couvents ; je crus tout ce que les imposteurs y avaient jamais inventé. J’y dis une dizaine de messes. [...]
Aujourd’hui, Dieu merci, nous avons les évangiles, les psaumes, et autres paroles de Dieu ; nous pouvons y faire des pèlerinages plus utiles, y visiter et contempler la véritable terre promise, la vraie Jérusalem, le vrai paradis.
Martin Luther - Introduction à la traduction du Psaume 117 (1530)
Dédicace adressée à Jean de Hernberg
En eux, rien de bon
Par ces pèlerinages, les hommes sont induits à une fausse vanité et à une incompréhension des commandements divins ; car ils croient que ce départ en pèlerinage est une œuvre bonne et précieuse, et ce n’est pas vrai. C’est une toute petite bonne œuvre, souvent même une œuvre mauvaise et trompeuse car Dieu ne l’a pas ordonnée. Mais il a ordonné de prendre soin de sa femme et de ses enfants et de s’occuper des autres devoirs qui relèvent du mariage, et en outre de servir et d’aider son voisin.
Maintenant, il arrive qu’un homme fasse le pèlerinage de Rome alors que personne ne le lui a ordonné, qu’il dépense environ cinquante ou cent florins, et qu’il laisse chez lui sa femme et ses enfants, ou du moins son voisin souffrir de la pauvreté. Et pourtant, l’insensé glisse sur une telle désobéissance et sur un tel mépris des commandements divins en s’engageant dans ce pèlerinage que lui seul a voulu, alors que seules la curiosité ou l’illusion démoniaque l’y ont poussé.
Les papes ont contribué à cela avec leurs fausses, feintes et insensées « années saintes » à l’occasion desquelles ils excitent et leurrent les gens pour les détourner des commandements de Dieu et les pousser vers leurs propres entreprises trompeuses. De la sorte, ils ont accompli la chose même qu’ils auraient dû interdire ; mais cela apporté de l’argent et raffermi la fausse autorité ; en conséquence cela devait continuer, bien que ce soit contre Dieu et le salut des âmes.
Afin de détruire chez les chrétiens simples cette foi séduisante et fausse, et pour restaurer une véritable compréhension des bonnes œuvres, tous les pèlerinages devraient être abandonnés ; car il n’y a en eux rien de bon ; pas de commandement, pas d’obéissance ; mais, au contraire, des occasions innombrables de pécher et de mépriser les commandements de Dieu. De là viennent les foules de mendiants qui, en pèlerinant, se rendent coupables de malhonnêtetés sans fin et qui prennent l’habitude de mendier alors qu’ils ne sont pas dans la pauvreté. De là viennent aussi le vagabondage et beaucoup d’autres maux que je ne citerai pas maintenant.
Si quelqu’un, à présent, veut aller en pèlerinage ou prononcer le vœu du pèlerin, il devrait d’abord en parler au prêtre de sa paroisse ou à son seigneur. S’il s’avère qu’il veut le faire dans l’intérêt d’une bonne œuvre, le prêtre ou le seigneur devrait piétiner le vœu et la bonne œuvre comme si c’était un appât du démon, et lui montrer comment appliquer l’argent et la peine nécessaire au pèlerinage à la sauvegarde des commandements de Dieu et à des œuvres mille fois meilleures, comme de dépenser pour sa famille et pour ses voisins pauvres. Mais s’il veut faire le pèlerinage par curiosité, pour voir de nouveaux pays et villes, alors on peut le laisser faire comme il l’entend.
Martin Luther - Appel à la noblesse chrétienne de la nation allemande (1520)
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