Obadiah de Bertinoro
Juif originaire du nord de l’Italie, Obadiah de Bertinoro se rend en Palestine en 1487, ayant pour projet de s’établir dans le pays de ses ancêtres. Empruntant, comme la plupart des pèlerins chrétiens, la voie maritime, il quitte Messine pour un cabotage en mer Égée, Rhodes, Chypre puis Alexandrie avant de rejoindre la Palestine. Arrivant à Jérusalem où il ne reste presque plus de juifs, il s’installe dans la Ville sainte et y fait office de croque-mort. Dans plusieurs lettres, il décrit la vie en Terre sainte et parle également des communautés juives de Palerme et de Rhodes qu’il a côtoyées lors de son voyage.
L’arrivée à Jérusalem
Nous quittâmes Hébron le mardi 13 nissan au matin. Hébron est à une demi-journée de marche de Jérusalem. De Gaza à Hébron, il faut compter un jour de marche. Nous arrivâmes à la sépulture de Rachel couronnée d’un dôme. À mes yeux, cet édifice ne paraît pas aussi ancien qu’on l’attendrait. Il est situé à la croisée des chemins. Nous descendîmes de nos ânes et nous prosternâmes sur la tombe, chacun d’entre nous pria de son mieux. À droite, en direction de Jérusalem, à un demi-mille de la tombe de Rachel, sur une colline, se trouve Bethléem qui est un petit village. Il y a là-bas une église chrétienne.
Trois milles séparent Bethléem de Jérusalem. Sur la route, on ne voit que vignes et oliviers. Les vignes de cette région ressemblent à celles de la Romagne : les cèpes sont peu élevés et épais. À trois quarts de milles environ de Jérusalem, en un endroit où l’on descend par des sortes de marches, m’est apparue la ville tant louée, la cité de notre joie. C’est là que, comme il se doit, nous avons déchiré nos vêtements. Ayant avancé un peu plus loin, la vue du Temple en ruine qui fut notre sainteté et notre gloire nous fut révélée. Nous déchirâmes nos vêtements une deuxième fois en souvenir du Temple. [...] Nous arrivâmes aux portes de Jérusalem et entrâmes dans la ville le 13 du mois de nissan 5248 à midi. C’est en ce jour que nos pieds se tenaient devant les portes de Jérusalem. C’est là que vint à notre rencontre un rabbin ashkénaze qui avait été élevé en Italie. Il s’appelait Rabbi Jacob di Colombano. Il me conduisit dans sa maison où je séjournai pendant toute la fête de Pâque.
Jérusalem, ville de désolation
Jérusalem est, dans sa plus grande partie, en ruine et désolée. Il est inutile de dire que nulle muraille ne l’entoure. À ce qu’on dit, les habitants de Jérusalem sont au nombre de quatre mille chefs de famille, mais pas plus de soixante-dix juifs n’y résident maintenant. [Toutes] sont pauvres et sans ressources. Pratiquement tout le monde manque de pain. Quiconque est en mesure de se procurer du pain pour une année est considéré comme riche en ce lieu. Les veuves y sont nombreuses, vieilles et abandonnées, ashkénazes, sépharades et originaires d’autres pays : il y a sept femmes pour un homme.
Actuellement le pays est calme et pacifique, car les anciens ont fait amende honorable, voyant que le pouvoir leur échappait : eux aussi sont devenus plus pauvres et plus misérables qu’auparavant. Ils tentent d’encourager tout nouvel arrivant, l’honorent, l’encensent et s’excusent abondamment de leur conduite passée, disent qu’ils n’en veulent qu’à ceux qui désirent les dominer. Et jusqu’à présent, je dois dire qu’ils ont agi avec moi correctement, pacifiquement et honnêtement. Loué soit Dieu chaque jour.
Le Temple et le mur occidental
Nul juif ne peut entrer sur l’esplanade du Temple. Quoique souvent les musulmans aient voulu y faire pénétrer des juifs menuisiers ou fondeurs pour travailler le bois et pour tout autre labeur, les juifs s’abstiennent en raison de l’impureté. Je n’ai pas pu savoir si les musulmans pénètrent dans le lieu qui fut autrefois le Saint des Saints. J’ai aussi cherché à savoir ce qu’est devenue la « pierre de fondation » sur laquelle était déposée l’Arche sainte ; nombreux sont ceux qui affirment qu’elle se trouve sous une coupole belle et haute que les musulmans ont construite dans le Temple. Elle y serait enfermée et nul ne pourrait y entrer, c’est-à-dire approcher de la pierre de fondation, car la coupole est très grande.
Le Temple renferme d’immenses richesses, à ce qu’on dit. Tous les rois y construisent des salles couvertes d’or. L’actuel y aurait construit un beau bâtiment décoré d’or et de pierres précieuses, supérieur à celui de tous les autres royaumes. Le Temple possède aujourd’hui douze portes. Celles que l’on appelle les portes de Miséricorde sont en fer, toujours closes, situées à l’est du Temple. On n’en voit que la moitié au-dessus du sol, le reste est enfoncé dans la terre. On dit que les musulmans ont souvent essayé de les dégager, sans succès.
Le mur occidental qui existe encore, je veux dire en partie, est construit en pierres grandes et larges. Je n’ai jamais vu de pierres aussi grandes dans un bâtiment ancien à Rome ou ailleurs. Au nord-est du Temple, dans un angle, un grand bâtiment est construit sur de grandes et hautes colonnes, très nombreuses. Je suis entré dans cet endroit et j’ai eu peine à arriver jusqu’au bout du bâtiment, car il est immense. Il est rempli de terre amassée après la destruction du Temple. Le Temple repose sur ces colonnes. Dans chacune, un trou permet de passer une corde. On dit que c’est là qu’on attachait les béliers et les taureaux destinés aux sacrifices.
Rabbi Obadiah de Bertinoro - Lettres d’Israël
[in Croisades et pèlerinages - Éd. Robert Laffont]
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