Sir John Mandeville
Les voyages de sir John Mandeville, chevalier, publiés vers le milieu du XIVe siècle et traduits en onze langues ont occupé pendant cinq siècles une place de choix dans les références aventureuses, avant que l’on ne découvre que sir John n’avait jamais vécu, que ses voyages n’avaient jamais eu lieu, et que ses expériences personnelles, à l’aune desquelles se sont longtemps mesurés les autres voyageurs, ont été compilées à partir de sources très diverses, remontant pour certaines jusqu’aux historiens de la Rome antique. On suppose que c’est un chroniqueur belge, Jean d’Outremeuse, qui composa ce premier roman d’aventures.
Le récit prétendait être un guide pour des pèlerins vers Jérusalem, décrivant les expériences réelles de l’auteur. Tous les itinéraires possibles vers Jérusalem sont brièvement traités afin de présenter des incidents étranges, tandis que la mention des saints et des reliques se mêle à des légendes plus profanes. On passe du tombeau de saint Jean à l’histoire de la fille d’Ypocras transformée en dragon. Un compte-rendu circonstancié de Jaffa se conclut par la description des chaînes dans lesquelles le géant Andromède fut emprisonné avant le Déluge.
Mais toutes les connaissances géographiques de Mandeville ne pouvaient être circonscrites aux voyages vers Jérusalem, même si l’un des itinéraires passait par le Turkestan. Ainsi, lorsqu’ils sont achevés, y compris un complément de légendes sur le Sinaï et l’Egypte, l’auteur présente, dans une deuxième partie du livre, un compte-rendu du monde oriental au-delà des frontières de la Palestine. On y découvre un tableau très vivant de la cour du Grand Khan et du Prêtre Jean, de l’Inde et de la Chine. Il y a cette même combinaison du véridique et du fabuleux, mais les fables sont plus "hardies" : on y parle de la croissance des diamants et des fourmis qui gardent des collines de poussière d’or, de la fontaine de jouvence, du paradis terrestre et de la vallée des diables.
Les deux parties du livre ont été compilées à partir de relations de voyages authentiques complétées de références d’origines très diverses. Les voyages vers Jérusalem sont principalement tirés d’un récit ancien de la première croisade par Albert d’Aix, écrit deux siècles et demi avant Mandeville, et les passages récents d’un certain nombre de livres de pèlerinage des douzième et treizième siècles. La deuxième moitié du travail de Mandeville est "un plagiat déformé" des voyages d’un missionnaire franciscain, Frère Odoric de Pordenone (1330), dans lequel s’entassent toutes sortes de détails, de merveilles et bribes d’histoire naturelle puisés dans des sources comme La légende dorée, les encyclopédies d’Isidore ou de Bartholomaeus, le Trésor Brunetto Latini, précepteur de Dante, ou encore le Speculum de Vincent de Beauvais (vers 1250). Mandeville emploie également la sobre Historia Mongolorumde Plan Carpin ou les faux médiévaux que sont La lettre d’Alexander à Aristote et La lettre du Prêtre Jean.
L’auteur ne tient aucun compte de temps ; bien qu’il soit tout à fait à jour dans sa délimitation du mouvant royaume de Hongrie, plusieurs de ses observations sur la Palestine sont erronées de trois siècles ; une note qu’il donne sur Ceylan a été faite par César sur les Britanniques ; une partie de sa science vient également de Pline ; ses pygmées, qui combattent avec de grands oiseaux, ses grands moutons des géants sur l’île-montagne, revendiquent une ascendance encore plus antique et plus illustre. La mémoire qui pouvait rassembler une telle variété de connaissances n’est pas moins étonnante que l’art avec lequel l’auteur les a combinées et harmonisées, au point de donner à cette collection qui aurait pu être hétéroclite l’apparence d’une expérience individuelle de voyageur du XIVe siècle.
En passant par la Tartarie
Je vous ai décrit quelques routes, par terre et par mer que les hommes peuvent emprunter pour se rendre en Terre sainte à partir des pays d’où ils viennent, et elles finissent toutes en un seul lieu. Toutefois, il y a un autre chemin de France ou des Flandres vers Jérusalem, entièrement par la terre et ne franchissant pas la mer ; mais ce chemin est long, périlleux et demande un grand voyage, ce qui fait que peu de personnes le prennent.
Celui qui veut prendre ce chemin doit traverser l’Allemagne et la Prusse de là jusqu’en Tartarie. La Tartarie est le siège du Grand Khan de Chine dont je parlerai par la suite. C’est un pays désolé, sablonneux et portant peu de fruits. Car il n’y pousse ni blé, ni vigne, ni haricots, ni petits pois ni aucun fruit qui conviendrait à la vie d’un homme. Mais il y a des bêtes en grande quantité. Et les habitants de cette contrée ne mangent que de la viande, sans pain, ni soupe ni bouillon, et ils boivent du lait de toutes sortes de bêtes. Ils mangent des chiens, des chats, des rats et d’autres bêtes sauvages. Comme ils n’ont pas de bois, ou très peu, ils chauffent et font bouillir leur viande avec du crottin et de la bouse et des excréments d’autres bêtes, séchés au soleil. Les princes et les autres ne prennent qu’un repas par jour et ne mangent guère.
En été, de nombreuses tempêtes et coups de tonnerre terribles s’abattent dans tous ces pays, et tuent beaucoup de gens et de nombreux animaux. Il y a des grandes chaleurs et soudainement aussi des coups de froid. C’est le pays le plus infâme, le plus maudit et le plus pauvre que puissent connaître les hommes. Le prince qui gouverne leur pays qu’ils appellent Batho, habite la cité d’Orda. En vérité, aucun honnête homme ne devrait habiter ce pays, car la terre et le pays ne sont même pas dignes des chiens. Ce serait un bon pays pour semer du chardon, des ronces, des épines et rien d’autre. Pourtant, il y a quelque part de la bonne terre, mais il n’y en a guère, à ce qu’on dit.
Je ne suis pas allé dans ce pays, ni par ce chemin, mais j’ai été dans d’autres terres aux marches de ces pays, comme la terre de Russie, la terre de Nyflan et le royaume de Cracovie et de Lettonie, et au royaume de Daristan et en bien d’autres lieux qui bordent les côtes. Mais je ne suis jamais allé par chemin jusqu’à Jérusalem, en sorte que je ne pourrais dire proprement la manière de s’y rendre ainsi. Mais s’il plaît à un honnête homme qui y est allé par ce chemin de le raconter, qu’il le fasse afin que ceux qui prendront cette voie et feront le voyage par ces côtes sachent quel y est le chemin. Car nul ne peut passer sans encombre par cette route, sauf en hiver en raison des eaux périlleuses et des traîtres marais qui sont en ce pays et que personne ne peut franchir sauf en cas de grand froid et si la neige les recouvre. Car en absence de neige, les hommes ne pourraient aller sur la glace, non plus que les chevaux.
Il y a bien trois étapes d’un tel chemin pour passer de Prusse au pays habitable des Sarrasins.
Les Voyages de sir John Mandeville, chevalier.
Traduction à partir du texte complet de Mandeville
disponible an anglais sur le site du Projet Gutenberg
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